La Terre infernale

Imaginez un peu : 80 à 100 000 morts, c’est du même ordre que ce qui est arrivé à l’Irak en près de deux ans de guerre. Or, hier, Mère Nature n’a eu besoin que de quelques heures pour se hisser à la hauteur d’un tel carnage.

La Tour InfernaleC’était en 1974. Steve McQueen, Paul Newman et une brochette d’acteurs américains « cassaient la baraque » — c’est le cas de le dire — dans un film catastrophe terriblement réaliste : La tour infernale. D’après les cinéphiles, ce blockbuster de 14 millions de dollars est le père de tous les films catastrophes des 30 dernières années. C’est aussi une vision prémonitoire des nombreux incendies apocalyptiques de grandes tours à bureaux ou d’habitation auxquels nous avons assisté depuis lors, confortablement installés devant la télé, avec leurs cortèges de hurlements et de pantins désarticulés tombant dans le vide.

C’est bizarre. Je n’arrête pas de penser à ce film depuis l’annonce, hier, de la terrible catastrophe qui a frappé l’Océan Indien. En quelques heures, un raz de marée d’envergure biblique a condamné à mort au moins 50 000 êtres humains (peut-être même 100 000 ou plus!) dans une dizaine de pays parmi les plus pauvres de la planète et causé d’immenses dégâts matériels que les survivants endeuillés mettront probablement des années à surmonter — s’ils parviennent jamais à survivre au chagrin et aux pandémies sanitaires qui les guettent.

La Terre InfernaleIl n’y a pas de lien direct, me direz-vous, entre un film de fiction mettant en scène une catastrophe urbaine provoquée par l’incurie et la turpitude insondables de l’être humain, d’une part, et la réalité d’une catastophe naturelle comme celle-ci. C’est vrai. Le rapprochement que je perçois pourtant est à la fois analogique — le degré de panique et de souffrance face à l’horreur absolue — et sémantique — à La tour infernale, en effet, s’est substitué au cours des 30 dernières années un spectacle médiatique quasi permanent d’un bien nouveau genre : la Terre infernale.

Allez savoir pourquoi, ce sont le plus souvent des contrées à saveur paradisiaque, îles tropicales et côtes coraliennes en tête, qui subissent l’enfer des foudres de Mère Nature. Celles-ci s’abattent aussi parfois sur les contrées industrielles, mais le prix à payer en terme de vies humaines s’y avère généralement nettement moins élevé. Imaginez un peu : 50 000 à 100 000 morts, c’est plus que les pertes subies par le peuple irakien en 20 mois d’intervention américaine. Mère Nature n’a eu besoin que de quelques heures pour surpasser un tel carnage. En terme de châtiment biblique, Donald « von » Rumsfeldmarechal et Baby Bush ne sont en fin de compte que de tristes amateurs.

Bref, nous voici replongés, une fois de plus et en pleine période de Noël, dans un nouvel épisode de La Terre infernale. Emballement des journaux télévisés, pleines pages d’horreur dans les journaux, mobilisation des organisations caritatives, levées de fonds, UNICEF, Croix-Rouge, lignes d’appel sans frais, cartes de crédit, frissons dans le dos et bonne conscience à peu de frais apaisée.

Allez, joyeux réveillon à tous. On se téléphone et on fait un don, d’accord ?

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