Écrans de fumée

Nous exigeons juste, et à bon droit, que les fumeurs ne nous obligent pas à subir indirectement leur sort. C’est de bonne guerre et les arguments contraires d’un Gil Courtemanche ne sont que des écrans de fumée nauséabonds et inutiles face à cette exigence.

Le drapeau des corsaires pulmonaires!Dommage que la fumée de cigarette obscurcisse quelque peu la vision sociopolitique habituellement assez juste de Gil Courtemanche, ce matin. La colère — malheureusement réservée aux abonnés — que ce grand fumeur notoire pique et signe dans Le Devoir à l’adresse du ministre de la Santé du Québec est effectivement injuste et ridicule, surtout de la part d’un homme de sa trempe.

Notons toutefois que Courtemanche reconnait lui-même son égarement en préambule : « Je me lance sans filet dans un plaidoyer inutile qui sera sans effet et que ces bourgeois corrects, propres et en santé qui nous gouvernent trouveront ridicule. Je me fourvoie dans le totalement politiquement incorrect. J’avoue donc mon état de brebis galeuse et de coupable. Une question: M. Couillard, quand on vous payait richement pour soigner le coeur des princes saoudiens, leur faisiez-vous la leçon et leur disiez-vous qu’il fallait interdire la cigarette dans leur royaume où sont déjà interdits l’alcool, les drogues, la baise et tous les menus plaisirs qui font la vie des gens normaux? ».

Cet égarement parfaitement lucide, assorti d’une attaque très en-dessous de la ceinture, démontre moins la justesse de la position pro-tabac (comme il y a les «pro-vie») de Courtemanche que les ravages intellectuels provoqués par son tabagisme. L’auteur semble tellement accroc à sa dose qu’il revendique sa propre déchéance physique et morale. Bravo, Monsieur Courtemanche, pour cet appui involontaire à la cause défendue par le ministre, les « bourgeois corrects » qui nous gouvernent, comme vous dîtes, mais aussi par des millions de citoyens non fumeurs, sans pouvoir et sans aigreur, qui appuient eux aussi cette législation.

Moi-même, je souscris à 200 % à cette nouvelle loi parce que j’en ai marre de devoir laver tous mes vêtements à chaque fois que je prends un verre dans un bar que fréquente M. Courtemanche. Marre de devoir choisir mon camp lorsque j’entre dans un restaurant où il est en train de souper. Marre d’avoir à me boucher le nez pour traverser le nuage de fumée qui flotte devant l’entrée de mon bureau à cause des brebis bêleuses de son espèce, fières de leur dépendance soi-disant garantie par la Charte des droits et libertés. C’est faux et elles le savent bien. Que les fumeurs vivent comme ils le souhaitent avec leur paradoxe, mais pas dans ma cour ! Leur liberté s’arrête là où commence la mienne et il est grand temps que ce principe civil fondamental soit appliqué.

Évidemment, je sais de quoi je parle. J’ai été fumeur de 1974 à 1999. Vingt-cinq années à me boucher consciencieusement les alvéoles pulmonaires, à m’exciter chimiquement les neurones et à rétrécir mes artères comme peau de chagrin. Au bout de 20 années de ce régime nazi, je sentais bien que mon souffle s’essouflait, que ma gorge en arrachait, que le cancer me guettait au tournant de la cinquantaine et que je n’aurais aucun argument à opposer à ma fille de six ans le jour où elle en arriverait là, elle aussi. Au départ, j’étais comme Gil Courtemanche : totalement accroc et sûr de mon droit à l’être. Puis le doute s’est imiscé dans mon esprit et j’ai entrepris quelques tentatives pour baisser mon ratio de poison quotidien, voire arrêter totalement, mais en vain. À chaque rechute, ma bonne conscience s’inventait mille excuses et l’élan de vertu se repliait sur lui-même en un cercle vicié.

Soudain, en 1999, est arrivé cette loi qui interdisait de fumer dans tous les bureaux du Québec. Travaillant au 14ème étage, je ne me voyais guère prendre l’ascenseur huit fois par jour pour assouvir mon vice comme un vulgaire mendiant. J’ai donc dû prendre le taureau par les cornes, m’inscrire à un programme pour arrêter de fumer de l’Institut de cardiologie de Montréal et me faire prescrire du Zyban — un antidépresseur éliminant les effets du sevrage — par mon médecin. Résultat: trois semaines avant la date fatidique, j’avais définitivement cessé de fumer. « Nécessité fait force de loi », dit le proverbe. Quant on est rendu aussi étranger à soi-même qu’un drogué dur à la nicotine peut l’être, j’ajouterais que « Loi fait office de volonté ».

Pour terminer, prenons un peu de recul. Examinons la colère de Gil Courtemanche comme l’on examinerait une manifestation anti-avortement sur la Colline parlementaire. Ces gens-là mettent également de l’avant leur sacro-sainte «conscience» afin d’empêcher d’autres citoyens de vivre selon les droits que leur accordent la loi. La sortie pro-tabagisme de Gil Courtemanche est du même acabit. Les pro-air n’empêchent pas les pro-tabac de s’asphyxier chez eux ou en plein air, si c’est ce qu’ils désirent. Ils exigent juste de ne pas avoir à subir indirectement leur sort et que l’on cesse de donner le mauvais exemple en public à leurs enfants. C’est de bonne guerre et les arguments contraires d’un Gil Courtemanche ne sont, face à cette exigence, que des écrans de fumée.

2 réflexions sur « Écrans de fumée »

  1. Monsieur de Villepin a décidé de subventionné largement les Associations de lutte contre le tabac. Certes, sur le plan pédagogique, les Associations ont un rôle important mais ne résolvent pas le problème.

    N’aurait-il pas mieux valu que les patchs, séance d’acupuncture ou autres désacoutumances soient gratuits pour tous ?

    Dolorès BAUDELOT

  2. Je ne suis pas au fait de cette loi villepinesque, mais j’avoue que l’on peut difficilement être contre la vertu.

    Rendre les patches, traitements d’acupuncture et autres méthodes antitabacs gratuits? Je ne suis pas sûr que cela soit la bonne solution. En effet, ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Vous pouvez donc arrêter de fumer gratuitement et reprendre aussi sec, quelques mois plus tard, sans que cela ne vous coûte rien. Je crois donc que le prix à payer, pour peu qu’ils soit raisonnable, est une bonne chose, d’autant qu’il se récupère très vite en économie de cigarettes.

    Par contre, la prévention n’est pas tout et la politique coercitive des grandes villes nord-américaines qui, comme Montréal ou Toronto, interdisent de fumer dans tous les lieux publics clos, y compris les bureaux privés, est une excellent chose. Cela donne un coup de pouce déterminant à nombre d’accrocs, comme je l’explique plus haut. N’êtes-vous pas d’accord ? 🙂

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