Les rock stars, baromètres intouchables de l'opinion

Dans son enquête sur «les rebelles millionnaires», publiée ce matin à la Une du Devoir, Antoine Robitaille s’emploie à discréditer les rock stars qui militent en faveur de l’environnement et de la lutte contre la pauvreté dans la monde. Les attitudes et les personnages qu’il dénonce ne sont pas aussi vains qu’il l’affirme. Ce sont les symboles médiatiques nécessaires d’un monde chaotique se mettant en marche pour assurer sa survie.

Un capitaliste sera toujours prêt à vous vendre la corde pour le pendre si cela peut lui rapporter de l'argent.Dans son enquête sur « les rebelles millionnaires », publiée ce matin à la Une du Devoir, Antoine Robitaille s’emploie à discréditer les rock stars qui militent en faveur de l’environnement et de la lutte contre la pauvreté dans la monde. Leur attitude iconoclaste à l’égard de l’establishment ne serait qu’une « posture rebelle » à la mode, pour ne pas dire une basse opération de récupération mercantile. Les raisonnements des « experts » sur lesquels il appuie cette thèse ne sont pas dénués d’une certaine pertinence, mais ils sont un peu courts. Pour en extraire le sens réel, il faudrait les poursuivre jusqu’au bout.

Si les discours « révolutionnaires » des Bob Geldorf, Bono et autres Madonna de ce monde font aujourd’hui tant vibrer les foules, c’est qu’ils traduisent un profond sentiment de colère et de révolte au sein d’une frange de plus en plus large de la population mondiale. À la fin de l’excellent documentaire canadien The Corporation, le cinéaste américain Michael Moore rappelle cette boutade voulant qu’un capitaliste sera toujours prêt à vous vendre la corde pour le pendre si cela peut lui rapporter de l’argent. « Je suis l’une de ces cordes, conclut-il. J’utilise cette faille du système pour mieux le dénoncer. On me laisse faire parce que mes films sont populaires et qu’ils rapportent beaucoup d’argent. »

Vu sous cet angle, on comprend beaucoup mieux le succès de la « posture rebelle », nouvel objet de consommation dont les rock stars, ces baromètres sensibles de l’opinion, s’emparent afin de nourrir leurs créations populaires. C’est effectivement l’un des nombreux paradoxes engendrés par notre civilisation suicidaire et entretenu par ses élites économiques, politiques et médiatiques aveugles . Parmi tous les opposants au système capitaliste actuel, les plus efficaces sont ceux qui en tirent le plus grand profit matériel car cela leur confère, au sein de ce système, une légitimité les rendant intouchables.

Ces grands surfers de la conscience populaire ont la particularité de parler un double langage : celui de la raison sociale et du développement responsable, qui anime de plus en plus le commun des mortels, et celui de la déraison capitaliste, socialement irresponsable et globalement destructrice, qui rassure les marchés obnubilés par le seul profit à court terme. Du coup, leur pouvoir est immense car ils échappent aux implacables machines de répression qui écrasent les mouvements populaires de contestation.

Je conseille vivement à M. Robitaille de voir ou de revoir le film The Corporation, maintenant disponible en DVD dans les clubs-vidéo. Son analyse incomplète s’en trouvera peut-être illuminée par une prise de conscience salutaire. Les attitudes et les personnages qu’il dénonce ne sont pas aussi vains qu’il l’affirme. Ce sont les symboles médiatiques nécessaires d’un monde chaotique se mettant en marche pour assurer sa survie.

3 réflexions sur « Les rock stars, baromètres intouchables de l'opinion »

  1. Belle analyse, même si j’ai tendance à penser que les actions des Bono et autres Madonna contribuent à faire croire aux gens que le mode de vie, la lutte contre la pauvreté et autres défis de l’humanité ne peuvent être gérés que par les grands de ce monde.

    Le journaliste du Devoir aurait pu également se demander pourquoi son journal ne s’intéresse qu’aux rebelles vedettes et non pas à ces centaines de milliers de rebelles du quotidien. Ces étudiants, par exemple, qui prirent des risques pour dénoncer des mesures ne touchant qu’une partie de leur communauté. Qui, grâce à leur rebellion, réussirent à faire plier le gouvernement et à ridiculiser les médias ayant essayé, au début, d’assimiler leur résistance à un caprice d’enfants gâtés.

    Nos sociétés sont pleines de rebelles. On en parle peu mais le ras-le-bol généralisé face aux problèmes récurrents, le constat que la croissance économique des 30 dernières années n’a pas amélioré les problèmes de l’humanité font que ces rebelles de l’ombre sont chaque jour plus nombreux et plus actifs.

    Si les vénézueliens ont été capables de mettre dehors l’oligarchie pour se doter d’un président qui réponde à leurs aspirations sociales, si les cubains ont réussi à résister à 45 ans d’agression américaine sous toutes ses formes (de la calomnie à l’invasion militaire en passant par le terrorisme et la guerre bactériologique), si les boliviens, les équatoriens, les brésiliens et les argentins se rendent compte qu’un monde meilleur est possible et qu’ils ont le pouvoir (le devoir!) de le mettre en place, il se pourrait bien qu’un jour les nord-américains, au sud comme au nord de la frontière, en tirent les leçons et décident de faire passer la santé et l’éducation avant les projets strictement économiques et les subventions aux entreprises.

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