Sexe, mensonge, fausse pub et Web vidéo

Hier matin, sur le blogue de Yannick Manuri, j’ai découvert une fausse publicité virale pour la bière Guiness diffusée sur YouTube. La célèbre boisson y est associée à l’habile suggestion d’une relation sexuelle entre une femme et quelques hommes. La compagnie exploitant la marque a évidemment réagi en désapprouvant formellement cette parodie. Youtube n’a pas encore retiré le clip et cela ne m’étonne pas, puisque je le trouve moi-même intéressant à plus d’un titre.

Hier matin, sur le blogue de Yannick Manuri, j’ai découvert une fausse publicité virale pour la bière Guiness diffusée sur YouTube. La célèbre boisson y est associée à l’habile suggestion d’une relation sexuelle entre une femme et quelques hommes. La compagnie exploitant la marque a évidemment réagi en désapprouvant formellement cette parodie. Youtube n’a pas encore retiré le clip et cela ne m’étonne pas, puisque je le trouve moi-même intéressant à plus d’un titre.

L’aspect didactique

Cette fausse pub pousse un cran plus loin l’attitude d’exploitation psychosociale de la sensualité, de la jeunesse et du corps féminin auquel les publicitaires s’adonnent déjà depuis des lustres au profit de commerces de tout acabit — boissons, voitures, vêtements, meubles et j’en passe. Le terrain étant bien préparé, il n’est pas étonnant que plusieurs commentateurs — et commentatrices! — de Yannick avouent l’avoir appréciée. Il n’y a d’ailleurs rien d’explicitement obscène à l’écran. La connexion cognitive avec l’image d’une relation sexuelle orgiaque créée dans l’esprit du webspectateur lui appartient totalement (enfin, presque, comme le précise Martin en commentaire). D’où cette impression de plaisir polisson, mais non coupable.

C’est le même phénomène qui est à l’œuvre lorsqu’on présente une boisson houblonnée dans un contexte qui ne lui est absolument pas associé dans la réalité, mais que nos perceptions et mémoires cognitives associent à une émotion positive. La bière et le party, par exemple. La bière et le flirt lascif avec cette belle fille assise, là, au bar. La bière et le rock & roll à fond la caisse, baby. La bière et le pouvoir régénérant de la nature et de l’océan — ah ben tiens, ça c’est nouveau et cela en dit long sur l’évolution actuelle de notre société, j’y reviendrai dans un instant…

The last campaign for Guinness, created by Abbott Mead Vickers. BBDO, was a press campaign earlier this year to push the drink ahead of the start of the sporting summer. The strapline, “You can almost taste it”, drew connections between a pint of Guinness and natural scen­ery, including the ocean.

Bref, en passant de la sensualité lascive à l’allusion sexuelle explicite, ce pastiche fort bien réalisé donne à voir les ressorts subliminaux profonds du discours publicitaire traditionnel. De ce fait, il m’apparaît plus didactique que scandaleux. D’une certaine manière, on peut le regarder comme on regarde une œuvre d’art.

L’aspect politique

Par exemple, J’ai l’impression que ce genre de détournement rééquilibre quelque peu la relation de pouvoir qui existe, à travers la publicité, entre les sociétés commerciales et les simples citoyens que l’on a pris soin de déshumaniser en les baptisant « consommateurs ». Après des décennies au cours desquelles la pub a manipulé, sans se poser trop de questions éthiques, la psyché collective, voici que la manipulation n’est plus à sens unique et que les images de marque sont elles-mêmes détournées sans vergogne.

Dans le premier cas, la manipulation mentale est désignée par le noble terme de « création publicitaire ». Dans le second, on parlera plus simplement de piratage et d’atteinte à l’image de marque, celle-ci étant protégée par le système juridique des marques de commerce. Pourtant, au fond, il s’agit essentiellement du même phénomène : un mensonge ou, si vous préférez, une fausse promesse destinée à créer une émotion positive à travers une association cognitive artificielle. Pensez à toutes ces pubs automobiles qui, au premier degré, nous vendent une belle fille sexy ou un excès de vitesse criminel.

Reste à évaluer le mobile de ces deux types de manipulations. Dans le cas de la publicité commerciale, il s’agit de provoquer un acte d’achat aux finalités strictement économiques et financières. Dans le second, comme par exemple ce pastiche Guiness, il s’agit de provoquer une distanciation cognitive et, au final, une prise de conscience sociale. C’est, en tout cas, ce que je me plais à croire jusqu’à de plus amples informations sur les motivations réelles des auteurs de ce clip.

L’aspect techno-sociologique

Après avoir malmené le système institutionnalisé de protection des droits d’auteur appliqué aux industries médiatiques, musicales et cinématographiques, il est clair que les technologies numériques associées au réseau Internet commencent à malmener également le système de protection des images de marque. Les œuvres artistiques numérisées et les images de marque ont en effet ceci en commun, qu’elles sont immatérielles et peuvent donc être produites, copiées, modifiées et rediffusées à l’infini.

Par ailleurs, l’amélioration permanente des outils numériques et leur production de masse en font sans cesse baisser la courbe d’apprentissage et les coûts. La réalisation d’un tel pastiche ou la diffusion massive d’une information sont maintenant à la portée de n’importe qui d’assez intelligent et déterminé pour s’en donner la peine. Il est donc à prévoir que les détournements d’images de ce genre vont, à l’avenir, se multiplier.

Et la « comm », dans tout ça ?

Je trouve assez intéressant que Guiness ait récemment choisi d’associer sa marque avec la nature, comme on l’a vu plus haut, plutôt qu’avec l’énergie festive de la jeunesse et la sexualité. Même s’il s’agit toujours d’une exagération publicitaire aux finalités mercantiles, cela dénote un glissement de la psyché collective vers des valeurs plus naturelles, permanentes, essentielles, liées à l’être plutôt qu’à l’avoir et au paraître.

Tout comme le monde de la pub, celui de la communication a cruellement besoin de faire son examen de conscience afin de mieux répondre aux exigences de notre époque. Je crois profondément qu’il est fini, ce temps où des spins doctors en relations publiques manipulaient sans état d’âme les journalistes — souvent consentants, il faut bien le dire — et rédigeaient des communiqués de presse ronflants et triomphants afin de faire mousser une information objectivement intéressante, mais sans plus.

Dans ce contexte, je crois que nous devons revenir à l’essentiel : des communications factuelles propres et bien faites, visant à servir l’intérêt public à long terme plutôt qu’à obtenir un gain corporatif artificiel à court terme. Bien sûr, c’est loin d’être aujourd’hui ce que tous nos clients nous demandent. Mais certains d’entre le font déjà, ayant compris qu’il est dans leur intérêt de positionner leur entreprise à long terme pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle prétend être. Il est également dans notre intérêt de faire comprendre cela aux autres.

Un aspirateur innovant et bien conçu n’a pas besoin de se cacher derrière une paire de seins pour être bien communiqué. Il en va de même pour une entreprise saine qui a tout à gagner à communiquer en profondeur, avec sincérité, en privilégiant les valeurs humanistes qui devraient idéalement sous-tendre chacune de ses actions économiques.

La communication Web vidéo est un outil particulièrement adapté à ce type de communication. Il n’est pas le seul, certes, mais il permet de mettre l’image, le verbe et l’humain au service des organisations mieux que n’importe quel autre. Nous en reparlerons…

8 réflexions sur « Sexe, mensonge, fausse pub et Web vidéo »

  1. Ça ne me surprend pas que Guinness choisisse de mettre l’accent sur la nature plutôt que la sexualité, comme le font leurs compétiteurs, car la marque est étroitement liée à l’Irlande, pays encore catholique, relativement conservateur et jusqu’à tout récemment (et encore pour une certaine génération) assez pudique.

    Je me permets de le dire, étant moi même de sang irlandais, du côté de mon père et ayant toujours de la famille dans ce beau pays. Les temps changent et l’Irlande aussi, mais le choix de gestion de marque pour une entreprise traditionnelle comme Guinness demeure une question fondamentale. Comme quoi il ne faut pas sous estimer les valeurs communes d’un peuple.

    Et là, Christian, j’imagine que tu vas me sortir une pub olé olé Guinness des années 70… mais ça me surprendrait.

    En passant, je trouve intéressant que tu choisisses de passer d’un discours portant sur une question de marketing (la pub) pour mépriser ces spins doctors des RP — j’ose croire que tu ne penses quand même pas que la profession que j’exerce est fondamentalement manipulatrice, car je ne fais certainement pas de spin. Si oui, permets-moi de te payer une Guinness afin qu’on en discute, la prochaine fois qu’on se croisera, car j’aimerais remettre les pendules à l’heure.

    Au plaisir d’une prochaine rencontre, mon ami.

  2. Ben non, Michelle, je ne prends pas les relationnistes pour des mécréants. S’ils en étaient, j’en serais un avec puisque j’ai sporadiquement exercé cette activité et géré les communications de plusieurs entreprises au cours de ma carrière. Pas plus, d’ailleurs, que je ne prends les publicitaires pour des « Himmler » commerciaux.

    Simplement, je crois que la société évolue très vite et que nous comprenons tous mieux, aujourd’hui, les erreurs du passé. Nous sommes tous conscients que le siècle passé a connu bien des dérives idéologiques et sociales, mais qu’il serait suicidaire de continuer dans cette voie. Il me parait donc légitime de regarder ces erreurs en face afin, petit à petit, d’être en mesure de les corriger.

    La ligne qui sépare le publicitaire du relationniste est épaisse au niveau formel, mais relativement mince au niveau de l’essence. Le but est toujours de faire valoir un produit, qu’il soit industriel ou corporatif. Le fait de recourir à une connexion subliminale entre deux réalités différentes n’est pas étrangère à certains univers communicationnels où l’on emploie superlatifs et langues de bois afin d’en mettre plein la vue d’une façon souvent artificielle… et qui, à toutes fins utiles, je crois, ne passe plus.

    Voilà pourquoi ce glissement de la pub à la « comm » m’a paru pertinent. Évidemment, il me fait plaisir de mettre en lumière, ce faisant, le pouvoir de l’image vidéo dans ce contexte et d’indiquer qu’il ne s’agit pas simplement d’un médium chic et à la mode, mais bien d’un outil puissant que l’on gagne à utiliser pour communiquer de façon simple, innovante, porteuse d’espoir… et de retour sur investissement. 🙂

    Quant à l’invitation à prendre une bière (irlandaise, canadienne ou japonaise) pour approfondir la question, je l’accepte volontiers en espérant que tu me permettras de t’offrir la première, vu que je t’ai, semble-t-il, quelque peu froissée. On pourrait aussi revenir sur les questions de transparence et de « message vrai » lors d’un prochain Troisième Mardi, une activité pour laquelle tu donnes beaucoup et que je trouve très passionnante.

    Merci encore et à bientôt, mon amie ! 🙂

  3. Excellent article qui pour démonter un artifice le pousse à son absurdité, mais bon la pub je n’ai pas accroché car une bière ça ne se secoue pas Monsieur! Même sensuellement…
    D’ailleur la smithwicks est meilleure les irlandai(e)s le savent bien !

  4. @Vincent: Ah ah ah! Vu sous cet angle-là, en effet, il est clair que Diageo ne peut pas entériner un clip qui secoue ainsi sa bière. D’autant que le débordement appréhendé pourrait avoir aussi une connotation sexuelle. 🙂

  5. Du grand Aubry, cet article. Rafraîchissant!

    Un point à soulever : « La connexion cognitive (…) créée dans l’esprit du webspectateur lui appartient totalement ».

    Faux. Pas « totalement« . Ce n’est pas pcq l’image n’est pas explicite qu’elle n’inclut pas le hors-champ . Nous ne sommes pas devant un tableau abstrait où l’imaginaire humain fait du « pattern matching ». Si tu filmes un verre qui tombe, je suis en droit de penser que tu veux me laisser suggérer qu’il va se casser au sol. La loi de la gravité n’est pas une invention qui m’appartient totalement. Cette suite, c’est un hors-champs qui fait parti du message.

    (par contre, la connexion cognitive suivante m’appartient complètement: si une fille t’invite à prendre une Guinness et que tu dis oui, on peut difficilement ne pas avoir de pensées folichonnes … 😉 )

  6. @Martin Lessard: Rafraîchissant, c’est le cas de le dire :). Je maintiens cependant que la connexion cognitive m’appartient totalement, dans la mesure ou ce « me » est le produit de mon expérience personnelle, laquelle englobe évidemment le bagage culturel que je partage avec des millions d’êtres humains adultes. En revanche, montre ce clip à un enfant de cinq ans et tu constateras que l’allusion sexuelle n’est pas incluse dans cette vidéo de façon objective. Elle ne l’est que de façon subjective. Est-ce plus clair ainsi?

    Et merci pour ton appréciation positive. Venant d’un ami, cela me fait chaud au cœur. Venant en plus d’un expert de la pub, cela me fait chaud à l’ego. 🙂

  7. Christian, je ne mettais pas en doute que le contexte appartient au monde adulte. Le film du verre qui tombe n’aura pas le même impact chez les poissons. Mon point est que la réaction provoquée chez moi a été causée par l’extérieur. L’image montré n’a de sens que dans le non-dit.

    On se rejoint donc, mais je voulais signifier par mon propos que je ne suis pas entièrement responsable de la connexion cognitive. Appelons ça un réflexe cognitif sympathique. On a cogné sur mon « genoux cognitif » et mon esprit a entrepris le reste par réflexe.

    Ce qui n’enlève rien à tout ton argumentation. La pub, c’est de la manipulation. Point.

  8. Nous sommes d’accord, Martin. Tu as raison de remettre en question l’adverbe « totalement » et j’ai modifié mon texte original de manière à y inclure ce bémol.

    La phrase suivante m’apparait cependant vraie car une mise en scène explicite aurait été scandaleuse et aurait entrainé des réactions plus négatives. Cela démontre d’ailleurs la puissance de l’allusion, du non dit, de la connivence appliquée à la représentation publicitaire. J’en déduirais presque que nous sommes « inconsciemment complices » de notre propre manipulation. Dès que l’on prend la peine d’observer et de désapprouver consciemment cette manipulation, en effet, elle n’a plus aucun effet subliminal sur nous.

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