Cette chronique a été publiée sous licence d’auteur le 9 février 1999 dans Multimédium, le cyberquotidien des TIC effacé du cyberespace par Québecor Media en mai 2002.
Formation en TI
L’état d’urgence
La pénurie de personnel qualifié en technologies de l’information (TI) stigmatisée par la dernière étude de Technovision n’est pas propre au Québec. Cependant, elle survient dans une région qui se targue de figurer parmi les chefs de file mondiaux de ce secteur et aspire à devenir l’une de ses grandes métropoles. D’où le caractère absolument crucial qu’elle y revêt. D’où aussi la nécessité de se mobiliser pour la résoudre, sans lésiner sur les moyens et en faisant preuve d’innovation.
Les journaux montréalais de samedi dernier étaient pleins à craquer d’allusions plus ou moins directes à cette question. Dans le cahier spécial Carrières de La Presse, on faisait miroiter l’emploi assuré et de qualité qui attend les diplômés en TI au sortir du collège ou de l’université. Dans un autre article, on faisait le point sur la fulgurante croissance des emplois créés au Québec dans le secteur du multimédia. Rien qu’à la Cité du multimédia, on espère compter 10 000 emplois d’ici 10 ans. Les besoins sont immenses, on le sait.
Dans une lettre adressée au quotidien Le Devoir, le doyen de la faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke, Jean Goulet, commentait à sa manière les conclusions de l’étude de Technovision. C’est bien beau, écrit-il, de vouloir doubler le nombre de diplômés universitaires en TI d’ici trois ans, mais «dans l’état actuel des finances universitaires, cela relève de la pure pensée magique» Les formations en TI dispensées par les universités sont financées «à la marge», bien en deça de leur coût réel. Et quand bien même le financement serait cohérent, il demeurerait «très difficile de trouver suffisamment de personnes compétentes pour donner cette formation.»
Même constat du côté de CRIM Formation, filiale du Centre de recherche informatique de Montréal. Dans une entrevue qu’il nous accordait la semaine dernière à l’occasion des 10 ans de l’organisme, son directeur général, Pierre Lecavalier, explique que le maraudage et le roulement excessivement rapide — 18 mois en moyenne! — des employés très qualifiés en TI rend la fidélité des professeurs très aléatoire.
Face à la pénurie, que font les entreprises? Elles doivent choisir entre l’abandon pur et simple de certains projets de développement ou bien la formation dans l’entreprise. Or, «ce n’est pas dans la culture des entreprises québécoises de dire « on va embaucher quelqu’un qui connait rien ou qui connait peu et on va le former »», explique Pierre Lacavalier. Encore là, leur premier réflexe sera de demander où sont les mesures gouvernementales permettant d’éponger la facture. Et ces mesures, selon Technovision, sont conçues pour répondre aux variations marginales des effectifs, pas à l’explosion fondamentale de la demande qui relève des collèges et des universités.
On se retrouve alors dans la situation où le secteur privé demande au gouvernement de re-financer le réseau d’enseignement public, alors même que la tendance est au sous-financement et au désengagement. De leur côté, les entreprises veulent réaliser des profits, mais pas mettre en place un coùteux système de formation parallèle en TI qui répondrait aux normes salariales et matérielles de l’industrie. Sacré problème! Pour le résoudre, il va falloir que chacun fasse son bout de chemin.
En attendant, on «patche» le système comme on peut. CRIM Formation a lancé le 4 janvier dernier son excellent programme Prise, qui vise à réorienter dans l’industrie des TI les ingénieurs civils en mal d’emploi. Le CRIM parie que ces scientifiques hautement éduqués feront de parfaits gestionnaires de projets informatiques, assimilant la technique dans une formule mixte (formation intensive + stage dans l’entreprise) étalée sur un an. Cinq cent membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec s’y sont inscrits après la parution d’une seule annonce. Le CRIM compte en former une centaine par an et cherche des partenaires pour faire le même travail en région.
Au royaume du multimédia, on pourrait peut-être aussi explorer l’avenue de la formation virtuelle, non? Mis en chantier dès 1995, le projet de DEC virtuel animé par un consortium de collèges québécois n’en est encore qu’à sa phase bêta 2.1.0. Or, l’idée d’applications d’auto-formation en ligne pour les technologies de l’information et le multimédia, dans un environnement pédagogique adapté, ne semble-t-elle pas aller de soi?
Ce qui est sùr, en tout cas, c’est qu’une ressource comme celle-là atténuerait grandement la pénurie en professeurs qualifiés et les coùts à terme supportés par les collèges et les universités. Un large groupe d’intérêt regroupant tous les acteurs du domaine pourrait certainement accélérer l’expérience du DEC virtuel et l’utiliser à ses fins. Cela aurait en outre l’avantage de développer le savoir-faire de l’industrie québécoise du multimédia en matière de formation virtuelle, une expertise qui vaut bien celle du jeu vidéo et qui serait certainement tout aussi exportable.
Bref, ce ne sont ni les problèmes ni les solutions qui manquent. Comme d’habitude, c’est la vision globale, le leadership, le rassemblement et la communication qui font défaut. Où est le fameux modèle québécois de concertation qui a fait tant de miracles pour la réalisation du déficit zéro? Aurait-il été enseveli sous le nouveau béton du Vieux-Montréal?
Voir également :
» Entrevue avec Pierre Lecavalier, directeur général de CRIM Formation.
» Présentation chiffrée accompagnant l’étude de Montréal Technovision >>> (fichier PPT).