Il est des vérités qui sautent aux yeux mais que certains se refusent obstinément à accepter jusqu’à ce qu’on les leur impose. C’est le cas, par exemple des bienfaits du contrôle des armes à feu. Au moins 75 % de la population est depuis toujours convaincue de cette évidence confirmée par toutes les statistiques : « moins d’armes à feu en circulation = moins de morts violentes par les armes à feu ». Mais non. Le lobby des chasseurs, des cow-boys, des tontons flingueurs et des indécrottables machos n’en démordait pas : « Il n’y a pas de corrélation entre le droit de posséder une arme à feu chez soi et le nombre de crimes et d’accidents qui leur sont associés », répétaient-ils en substance comme un mantra.
Heureusement, l’un des bons coups du ministre Alan Rock, en 1995, fut de leur imposer quand même sa fameuse Loi sur les armes à feu, au risque de passer pour un hérétique et un dangereux tyran aux yeux de ces citoyens si peureux qu’il leur faut un flingue dans le placard pour se sentir vivants. Dix ans plus tard, le résultat attendu est là : « Le Canada fait figure d’exemple, sa législation plus sévère sur les armes à feu adoptée en 1995 ayant fait chuter de 40 % le taux d’homicides par armes à feu dans la population féminine. » Ce n’est pas encore le Pérou, mais il y a du progrès et les pourfendeurs de cette loi apparaissent clairement aujourd’hui pour ce qu’ils sont : de furieux irresponsables.
Évidence inverse dans le dossier de la marijuana : alors que de nombreux groupes sociaux brandissent le lien évident qui existe entre la prohibition d’une substance populaire comme l’alcool ou le « pot » et le taux de criminalité engendré par sa prohibition, d’autres groupes plus conservateurs s’offusquent du projet de loi décriminalisant la possession de marijuana avancé par la ministre McLellan. Le décès, la semaine dernière, de quatre gendarmes sur une plantation clandestine leur fournit des munitions, croient-ils, pour exiger une répression plus sévère encore des cultivateurs et des consommateurs de cette plante incarnant si commodément le péché.
Or, comment justement ne pas voir que ce n’est pas la toxicité très relative de la marijuana qui est à l’origine du drame de Mayerthorpe, mais plutôt sa prohibition, laquelle lui confère artificiellement une valeur ajoutée extrêmement attrayante pour les bandes criminelles ? Sans cette prohibition, de braves cultivateurs tireraient un modeste profit d’une culture et d’une consommation soigneusement encadrées par les autorités légales et sanitaires. Il n’y aurait plus des fortunes à se faire dans la contrebande du pot, et donc plus d’incitation à son trafic illégal et violent.
Mais non. Les esprits simplistes se chauffant à la Bible et aux idées d’un autre âge n’en démordent pas : « Le diable, c’est pas moi, c’est l’autre. » Ben voyons. Raisonnons ces braves illuminés. Fions-nous au bon sens populaire et ne reculons pas devant les choix de société qui s’imposent par la raison. Il y aura toujours de bonnes et de mauvaises prohibitions. Le tout est de savoir les discerner à la lumière des faits bruts et non à l’obscure pénombre de nos croyances abstraites.