La frontière entre communication d’entreprise, journalisme et expression personnelle sur Internet est de plus en plus floue. Les journalistes prétendent souvent que les blogueurs ne sont pas soumis aux techniques de vérification et à la déontologie qui sont les leurs et qu’ils véhiculent des tonnes d’informations non vérifiables et autres rumeurs infondées. C’est en partie vrai, mais tout dépend en fait du sérieux de qui tient la plume. Certaines entreprises et certains blogueurs « indépendants » font plus et mieux, dans ce domaine, que des journalistes professionnels aux prises avec des délais de publication serrés et une conscience professionnelle élastique. Voici une histoire qui témoigne d’un certain flou journalistique : il était une fois une dizaine de téléphones mobiles usagés…
L’une de mes amies m’envoyait, ce matin, un lien pointant vers le dernier billet d’André Simard, un journaliste de La Presse qui blogue professionnellement sur Technaute : « Votre cellulaire conserve tous vos secrets » On y découvre l’histoire sulfureuse d’un mari infidèle qui a vendu son cellulaire, sur eBay, à une firme nommée Digital Trust. Celle-ci y a ressucité la preuve de ses frasques amoureuses. En guise de conclusion, le «blogo-journaliste» évoque la masse de données corporatives abandonnées à la mémoire flash peu sécuritaire des téléphone usagés. Voici la solution fort peu écologique qu’il préconise : écrasez donc votre vieux cellulaire d’un bon coup de marteau !
André Simard a cependant la bonne idée de reconnaître qu’il a pêché cette histoire sur le site du Globe and Mail. Tous les journalistes n’ont hélas! pas cette honnêteté élémentaire. Lui, il donne l’adresse du papier original qui, semble-t-il, constitue sa seule source. On y découvre une foule d’informations moins scabreuses que cette histoire d’adultère, dont des développements techniques intéressants et des citations de plusieurs personnes interrogées par le journaliste Ted Bridis. Manifestement, celui-ci a fait une bonne job en vérifiant l’information, en la complétant et en la considérant sous plusieurs angles, ce que n’a pas fait Simard en la réduisant au contraire à sa plus simple expression — le sexe, babe.
Mais d’où vient cette histoire, au fait ? Bridis et Simard citent la firme Trust Digital, sans préciser s’il s’agit d’une entreprise quelconque, d’un centre de recherche ou d’une firme spécialisée ayant un rapport avec le sujet. Vérification faite, c’est le cas, bien sûr : « Trust Digital est le chef de file des fournisseurs de logiciels de sécurité mobile. Elle sécurise les données d’entreprise qui résident à la périphérie du réseau, là ou téléphones évolués, ordinateurs de poche et assistants numériques ont accès à l’information corporative. » Cette description figure noir sur blanc au bas du communiqué de presse du 30 août qui constitue, de toute évidence, le point de départ de l’enquête du Globe and Mail.
En résumé :
- Une firme aux intérêts privés s’est livrée à une expérience intéressante afin de s’en servir pour démontrer la valeur de son offre commerciale. Elle a publié un communiqué de presse factuel à ce sujet, positionnant correctement ses arguments de vente sans cacher son intérêt dans l’histoire. Jusque là, rien à dire.
- Un journaliste disposant du temps et du savoir nécessaire s’en est saisi et a enrichi le sujet en analysant l’information brute et en la vérifiant auprès d’autres sources. Ceci dit, il a oublié de préciser que Trust Digital vendait des logiciels de sécurité, ce qui aurait ajouté une importante précision à son article. Dans l’ensemble, cependant, il s’agit d’un bon travail journalistique.
- Probablement pressé par le temps, faute d’être correctement rémunéré par son employeur, un autre journaliste réduisit la nouvelle à son aspect le plus accrocheur, se permettant même d’inviter ses lecteurs à commettre un petit désastre écologique, puisque chacun sait que les téléphones cellulaires contiennent des matières hautement toxiques pour l’environnement. Ce n’est pas la fin du monde, certes, mais c’est là que le lien de sérieux s’est brisé en nous projetant dans la rumeur, aux confins du divertissement facile et de la légende urbaine. Heureusement, en ajoutant un simple lien à son billet, il permet aux lecteurs exigeants de trier le grain de l’ivraie. Mais combien se seront donné cette peine ?
Bref, ce n’est pas l’environnement du blogue qui crée la rumeur et l’imprécision, ni le fait d’avoir affaire à de vrais ou de faux journalistes. C’est un choix qui relève de chaque communicateur, quelque soit son statut — mercenaire d’entreprise, journaliste professionnel ou simple citoyen. La responsabilité de mieux informer, de façon plus juste, plus exigeante et plus honnête appartient à chacun d’entre nous.
Effectivement, communiqué de presse ou bien billet, les frontières sont floues.
Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que mon esprit critique s’est developpé. Face au brouillard, on n’a pas le choix de faire un tri et de vérifier. De remettre en question, les blogs, les grandes chaînes de télé et même des empires médiatiques.
Prenons par exemple Digg.com, qui publie des billets recommandés par la communauté. Aussitôt soumis, les commentaires pleuvent, remettant souvent en questions les sources.
Tu ajoutes un bon point à mon propos, Kim. La responsabilité de mieux s’informer soi-même relève de la responsabilité personnelle de chacun d’entre nous. Si les lecteurs devenaient plus exigeants et s’ils exprimaient cette exigence sur leurs propres médias (lettres à la rédaction, blogues, forums, sites personnels), cela aurait certainement un inpact sur les patrons de presse qui auraient peut-être tendance à revaloriser la profondeur et la qualité du travail de leurs journalistes. Ainsi, leurs produits médiatiques deviendraient plus fiables et ils se démarqueraient du fameux « journalisme citoyen », qui n’offriraient pas les mêmes garanties de qualité.
On peut toujours rêver à voix haute 😉