Je rentre d’un voyage familial d’une semaine à Paris. On y parle beaucoup d’immigration clandestine et notamment de ces Africains qui, sur des embarcations de fortune, se jettent à l’assaut des paradis économiques européens. Face à ce rêve immense, peu leur importe de périr en mer ou de croupir dans des camps de concentration avant d’être renvoyés chez eux.
Dans l’avion hautement technologique qui me ramenait en toute sécurité à Montréal, j’ai longuement contemplé la carte du monde publiée dans le numéro 399 du magazine La Recherche. Cette carte illustre les impacts du changement climatique à l’horizon 2050 et met en évidence «les gagnants et les perdants». Comme de raison, ce sont les humains du Sud — Africains en tête — qui seront les perdants et qui en subiront les pires impacts.
Cette carte n’est pas publiée en ligne, mais celle du monde réchauffé (©La documentation Française) présente à peu près les mêmes éléments :
On constate que d’intenses mouvements migratoires sont à prévoir en Asie en raison de la montée des eaux. Incapable de sortir de la misère noire dans laquelle la colonisation, puis la guerre et la corruption l’ont plongée, l’Afrique sera aux prises avec encore plus de famines qu’aujourd’hui à cause de la sécheresse, la désertification, l’érosion et l’épuisement des sols. L’Amérique latine, quant à elle, sera soumise à des pluies diluviennes et des inondations qui rayeront probablement de la carte nombre de villes et de villages. Des millions d’âmes s’éteindront au passage et plus encore seront en deuil et dans de cruels états de dénuement.
Aux États-Unis, pendant ce temps, le niveau des Grands Lacs baissera, l’agriculture des Prairies et de la vallée du St-Laurent en sera affectée. Il y aura du stress environnemental et des espèces acculées à l’extinction, de grandes sécheresses et des ouragans dans le sud mais, finalement, pas trop de dégâts.
Au nord-est du Canada, on se gèlera moins les petons en hiver et l’on sera en mesure d’exploiter les ressources naturelles situées plus au nord des régions d’exploitation minière actuelles (d’où la frénésie canadienne et les récentes convoitises internationales que ce secteur a suscitées). Si la navigation devient incertaine au Sud, de nouvelles voies de commerce maritime seront tracées dans un Océan Arctique délivré de sa banquise.
En Europe, les pays du Nord essuieront des précipitations plus intenses, la sécheresse augmentera au sud, mais les rendements agricoles augmenteront peut-être un peu sous l’effet d’une concentration accrue de CO2. Inondations, récoltes perdues et incendies de forêt se multiplieront, tandis que la fonte des neiges fera fondre les profits de l’industrie du ski dans les Alpes.
Ceci dit, qui aura encore le cœur à skier ? Probablement pas les millions d’Africains qui tenteront d’échapper à d’indicibles souffrances en envahissant, coûte que coûte, la forteresse européenne. Il n’est pas difficile d’imaginer le flot de désespérés migrant du Sud vers le Nord afin de sauver leurs peaux. Qui les blâmera ? Des européens inquiets pour leur propre avenir, sans doute, et des politiciens autoritaires tentant de leur faire croire que l’Apartheid représente, comme aux États-Unis ou en Israël, la bonne solution. Pas moi.
On n’arrête pas la mer qui monte !
Ces barrages administratifs et policiers retarderont un peu l’inéluctable, mais je ne donne vraiment pas cher de leur efficacité à long terme. L’histoire récente prouve, en effet, qu’aucune digue, aucun mur ne peut résister indéfiniment aux éléments déchaînés — l’être humain luttant pour sa survie n’en étant qu’un parmi les autres.
Qui plus est, les tensions raciales sont déjà fortes en Europe et l’on voit mal comment la radicalisation des politiques anti-migratoires pourraient les apaiser. Si l’extrême droite se permet de crier au loup, c’est parce que si le loup y était, il serait déjà dans la bergerie. En réalité, il s’agit d’êtres humains à la recherche bien légitime d’un avenir meilleur. L’incapacité des anciennes puissances coloniales à régulariser et intégrer efficacement ces migrants maintient ceux-ci, depuis des décennies, dans une situation d’altérité et de précarité qui tourne maintenant à l’affrontement sporadique, mais récurrent. Les damnés de la terre se transforment en damnés de la République. Hier encore, corvéables à merci, ils constituent aujourd’hui une formidable bombe à retardement démographique, sociale et culturelle.
Dans ce contexte, on peut se demander quelles seront les conditions concrètes de la « résistance européenne » à la pression migratoire des populations africaines, celle-ci étant décuplée par les changements climatiques. On peut aussi anticiper un phénomène de vases communicants — le trop plein d’affamés africains se déversant en Europe tandis que la fraction la mieux nantie de la population européenne trouverait refuge en Amérique du Nord afin d’échapper à l’« africanisation ».
Si le temps nous était compté…
Dans l’avion du retour, entre deux repas insipides, j’ai longuement discuté de ces graves questions avec mon voisin de gauche, un sympathique artiste d’origine maghrébine installé à Québec, depuis quelques années. Pétrie d’humanisme, de culture et de respect, sa vision coïncidait parfaitement avec la mienne, ce qui confirme une fois de plus qu’il n’y a pas de déterminant racial aux solutions politiques, économiques et sociales que l’espèce humaine doit imaginer et mettre en place pour assurer sa survie.
Sur le siège de droite, ma fille de 13 ans regardait Nos voisins les hommes, un divertissement américain traitant subtilement de la malbouffe et de la prolifération des banlieues. Tant mieux, me disais-je. Elle a encore le temps de s’éveiller à ses responsabilités d’homo sapiens de façon plus sérieuse. Ce temps nous est toutefois compté.
À ton scénario du pire, Christian, j’ajouterais la pollution en tout genre qui contamine l’air, l’eau et le sol. Divers problèmes de santé graves se manifestent déjà depuis un bon moment à cause d’elle.
Oublié de préciser que je pensais particulièrement à l’Amérique, qui paraît s’en tirer un peu trop bien selon tes sources.
Ah, mais je n’en disconviens pas. C’est juste que je traitais ici autant d’écologie que de démographie, dans le contexte de ce vol qui m’emportait de l’Europe vers l’Amérique. Il me semble que l’on verra pas mal d’Européens emprunter le même vol, en aller simple, au cours des prochaines décennies. Pour le reste, j’aurais aussi bien pu choisir comme titre « Que seront devenues l’Afrique et l’Asie dans 20 ans? ». C’est une question d’angle et de point de vue 😉
Oui, oui je comprends, et ce n’est pas à ce que tu dis que je m’en prends, mais plutôt à tes sources (tes paragr. 5 et 6) qui me semblent brosser un tableau vraiment trop beau, à mon point de vue.
Je n’ai pas les compétences nécessaires pour en juger véritablement, Maridan’, mais il s’agit quand même d’un organisme international assez sérieux. Par ailleurs, les autres sources que j’ai consultées en rédigeant ce texte, y compris le magazine La recherche et La documentation française, semblent également aller dans ce sens : le nord de l’Amérique souffrira probalement moins du réchauffement climatique que d’autres régions de la planète. Reste qu’il y aura, ici aussi, des conséquences fâcheuses et que ce verdict un peu moins grave qu’ailleurs ne constitue nullement une excuse pour ne pas respecter nos engagements envers le Protocole de Kyoto!
En ce qui concerne la pollution comme telle, tu as raison de noter ses impacts sur la santé humaine. Il s’agit toutefois d’un autre débat.
l’IPCC dont parle Christian Aubry est une instance internationale (difficile de parler d’organisme) qui a été mise en place par des climatologues et qui a produit les fameux rapports sur le réchauffement climatique. Le mode de fonctionnement de cette instance qui regroupe plus de 400 personnes est assez consensuelle (même sur les désaccords). Elle organise des réunions annuelles qui regroupent tout les acteurs de ces développement scientifiques et politiques (environ 4000 personnes chaque année). C’est un cas unique d’analyse scientifique partagée et mondiale de la situation de la planète. Depuis, le Biodiversity Assessment et un autre sur l’Eau, qui est en train de se mettre en place, se font sur le même modèle. A l’IPCC les pays du Sud se sont beaucoup affrontés aux pays du Nord.
Merci pour ces précisions intéressantes, rigas. On trouve en effet pas moins de 47 400 pages, dans Google, référant à la seule appellation française de cette nébuleuse scientifique, tel, par exemple, ce rappel historique publié en 2001 dans la revue ISUMA: Revue canadienne de recherche sur les politiques. En résumé, il s’agit d’un des réseaux organisés d’intelligence collective les plus sérieux de la planète. Difficile de mettre en doute ses rapports, comme l’explique cette excellente analyse rédigée par Jean-Marc Jancovici, un ingénieur français qui semble s’y connaître et qui, surtout, développe de très bons arguments à ce sujet.
La page de Jancovici sur l’IPCC (GIEC en français) est excellente. (Tout son site d’ailleurs).
Il existe en France une chercheuse qui fait un excellent travail d’analyse sur le rôle du GIEC/IPCC, c’est Amy Dahan, du Centre Alexandre Koyré, dont je conseille vivement la lecture (il y a aussi un article d’elle dans la revue « Sociologie du Travail » et il existe un document de travail qui reprend l’essentiel de son analyse (en PDF à trouver avec Google, par exemple, GIEC : Entre savoirs scientifiques et expertise).
Les travaux du GIEC ont montré: 1) que les scientifiques n’ont pas besoin d’être d’accord pour influencer la politique. Autrement dit, il n’y a pas besoin de consensus pour aboutir à des recommandations de politique; 2) que le fait de constituer un lieu de discussion planétaire a été au moins aussi important que l’activité des ONG. Mais que c’est loin, très loin, d’être suffisant. Dans le cas du réchauffement climatique on a affaire à un lobby politiquement très puissant : les entreprises pétrolières.
J’en porfite pour signaler aux lecteurs de votre excellent blog que la sociologie des sciences a essayé avec plus ou moins de bonheur de décrire ce lien assez complexe entre le savoir scientifique et l’action politique.
Moi, je me demande comment l’Amérique est parvenue à causer une crise mondiale et des dettes de la banque !!!!! Aujourd’hui, nous nous demandons ce que deviendra l’Amérique dans un an ou plus.
Et qu’est-ce qui a améné cette crise mondiale !!!!!!!!!!!!!!!
Mmmm, bonnes questions, geanty. L’Amérique est économiquement en péril, certes, mais elle a encore pas mal de ressources (notamment au Canada et dans l’hémisphère Sud). Elle connais surtout une densité de population beaucoup moins susceptible d’engendrer des conflits sociaux extrêmes. Reste qu’elle commence, elle aussi, à être touchée par les catastrophes climatiques qui se multiplient depuis quelques années. Affaire à suivre…