Sans le désir de stimuler la curiosité scientifique de ma fille, Juliette, je n’aurais peut-être jamais eu celle — quasi morbide, à en croire les reportages — d’aller visiter l’exposition Le monde du corps 2, hier matin, au Centre des sciences de Montréal. C’eût été bien dommage, car il s’agit réellement d’un travail scientifique et didactique de premier ordre.
Le parcours du visiteur commence par plusieurs vitrines anatomiques dénuées de tout sensationnalisme et ce n’est qu’ensuite, une fois qu’on est dans le vif du sujet, si je puis dire, que l’on découvre les corps « plastinés » par le fameux Dr . Gunter von Hagens et présentés de façon suggestive afin de mieux illustrer le propos anatomique propre à chacun. Encore là, ces figures sont assorties de vitrines « classiques » dans lesquelles des organes sains et malades sont présentés. Au fil du propos, on se détache de la mise en scène pour mieux capter l’information anatomique et la leçon d’hygiène de vie qui nous est transmise.
Au final, je n’ai ressenti ni dégoût ni curiosité morbide au cours de ce parcours didactique. J’ai eu plutôt la sensation d’apprendre plein de choses passionnantes sur mon propre corps et ceux de mes semblables. Comme dit la sagesse populaire, j’avais « mis le doigt dessus », même s’il est interdit de prendre en photo (honte aux marchands !) et de toucher les éclatés.
Évidemment, la banalisation de la mort, ou plus exactement son esthétisation, peut inquiéter a priori et elle n’a pas manqué de faire sourciller les censeurs religieux. Présentée au public il y a un ou deux siècles, cette exposition aurait terminé au bûcher. En ce début de XXIe siècle, cependant, nos cerveaux sont prêts à regarder la réalité en face et le spectacle de la vie par-delà la mort n’est plus ce qu’il était.
Je ne peux m’empêcher de penser que la grande déferlante d’images et d’abstractions de la seconde moitié du XXe siècle sont à l’origine de ce détachement. Nous avons vu tellement d’images de guerre, de sang, de mort, de famine, de profanation et d’horreurs de toutes sortes que notre cerveau a appris à ne plus s’en effrayer. Qu’on le veuille ou non, il fait maintenant la différence entre le spectacle froid et « extérieur » de la mort et l’irruption émotionnelle de celle-ci dans notre propre vie. La contraception, l’avortement et les biotechnologies de pointe nous ont aussi amenés à repousser le seuil de ce qui peut être considéré come contraire à la morale et à l’éthique. Cet aspect philosophique et social de la visite est loin d’être inintéressant.
Science et mercantilisme
Côté organisation, cependant, le Centre des sciences de Montréal fait pitié. J’avais soigneusement réservé mes billets en ligne ― 56 $ pour un adulte et une ado, ce n’est vraiment pas donné ! ― assortis d’un rendez-vous à heure fixe, dimanche à 17h. Il était conseillé de se présenter à la porte 30 minutes à l’avance, mais sur place, on nous apprenait qu’il y aurait 75 minutes de retard sur l’horaire ! Cela nous obligeait à poireauter 1h45 avant d’être enfin admis dans le saint des saints. Inadmissible !
J’ai dû faire intervenir un superviseur pour déplacer ma réservation « non échangeable-non remboursable » à 11h, le lendemain matin. Eh bien croyez-le ou non, une heure à peine après l’ouverture des portes, le planning des entrées avait déjà pris 30 minutes de retard ! Il faut croire que l’on vend trop de billets sur place à la dernière minute ou bien que l’on met un point d’honneur à imposer une file d’attente au visiteur, histoire de le mettre en condition.
Ajoutant à cet irritant le prix très élevé des billets et l’interdiction de photographier, je me demande si le propos du Dr. von Hagens est réellement didactique ou bien bassement mercantile. Ce serait une question à explorer très sérieusement avant que je ne lui fasse don de mon corps. D’ailleurs, sa volonté affichée de protéger ses « droits d’auteur » rend sa démarche scientifique quelque peu suspecte.