Le journalisme a et aura toujours besoin de sources. Quand un État empêche les journalistes de travailler, il est bon que les citoyens prennent le relais en diffusant leurs propres témoignages. Idem quand une catastrophe survient trop loin des salles de rédaction ou que celles-ci omettent tout simplement, pour toutes sortes de raison, de couvrir un événement. Ce qui n’empêche pas les « novellistes », comme on les appellera peut-être un jour, d’avoir leur place dans la longue chaîne de l’information citoyenne. Bien au contraire !
Au cours du weekend durant lequel la crise #iranelection a éclaté, les grands médias de ce monde sont restés muets, ou presque. Mais les sources citoyennes, elles, explosaient. Il fallait voir l’incroyable jeu du Shah et de la souris optique que se livraient le ministère des communications iranien, d’un côté, et un groupe d’internautes non identifiés (enfin… voir la vidéo plus bas) de l’autre. Des serveurs proxy permettant de contourner le bloquage de Youtube et autres médias sociaux étaient signalés sur Twitter toutes les 10 à 15 minutes et disparaissaient quelques heures plus tard, lorsque le gouvernement les bloquaient. Pendant ce temps, 100 autres serveurs proxy avaient pris la relève et ceux qui étaient tombés au front ressuscitaient sous une nouvelle adresse IP.
Sur Twitter, le peuple grondait « #CNNFAIL »… avec quelques variantes locales, comme le montérégien « RadioCanadaFail », ;~} Certes, mais quelques heures plus tard, le temps de valider l’essence de ces informations — probablement par des contacts directs avec leurs journalistes sur place et correspondants locaux — les « médias trad » débarquaient sur le champ de bataille médiatique avec toute l’artillerie. Et, comme dans toutes les guerres, la chair à canon était principalement constituée des éléments de première ligne — toutes ces sources citoyennes, photos et vidéos, validées, triées et mises en perspective selon les bonnes vieilles méthodes traditionnelles.
Journalisme professionnel et citoyen, même combat !
Quelle différence y a-t-il entre une série de coups de téléphones et d’entrevues de terrain réalisés par des journalistes afin de nourrir et étayer leurs nouvelles et ces milliers de témoignages numériques de citoyens, à partir du moment où vous prenez le temps de les recouper et de les valider? Sur le fond, aucune. Sur la forme, cependant, la distinction est essentielle.
À partir de maintenant, la planète en réseau n’a plus nécessairement besoin des journalistes pour documenter les événements majeurs ou mineurs, sauf s’ils se produisent dans des endroits très reculés; et encore, puisque des ONG et des communicateurs responsables pourront, dans certains cas, y suppléer. J’utilise ici l’adjectif « responsable », au sens où leurs antécédents devront démontrer qu’ils observent une certaine éthique, c’est à dire ne déforment pas indûment et pernicieusement la réalité. Watch out, bien chères sœurs et bien chers frères !
Là où les pros de l’information sont et resteront nécessaires, c’est quand viendra le temps de digérer cette énorme masse de documents bourrée de faits et d’émotions brutes, mais non vérifiés. Nous devrons toujours compter sur eux pour mettre ces éléments en contexte, les approfondir, leur donner un cadre de référence crédible et raisonné. Comment savoir si telle ou telle vidéo balancée à 23h07 par Geronimo sur Youtube n’est pas, en fait, un clip d’archives provenant d’une manifestation vieille de 10 ans ? Ou bien un clip de propagande monté de toute pièces par l’un des protagonistes du drame afin servir sa cause quitte à duper le monde entier ?
C’est pour cela, je crois, que les « novellistes » professionnels (oublions un peu le journal, SVP !) prendront toujours plus de temps à réagir aux événements que les citoyens en réseau. Et vous voulez mon avis ? Je ne souhaite pas que cela change. Chacun chez soi et Dieu pour tous, les moutons seront bien gavés (ou quelque chose comme ça ;~).
Épilogue vidéo en forme de point d’interrogation
https://youtube.com/watch?v=Lp7v4rWp4pI
Crédit : DProgram ‘Countering Propaganda’
Aux U.S.A. comme en Iran, la pire menace contre les abus du pouvoir en place provient toujours de l’intérieur ;~}
3 réflexions sur « Quand le jeu du Shah et de la souris nous ramène au journalisme «open sources» »