La sortie de Daniel Turp, cette semaine, n’est à mes yeux qu’un lamentable combat d’arrière-garde. Le député de Mercier veut présenter, à l’Assemblée nationale du Québec, un projet de constitution québécoise disponible ici en format PDF (!!). Comme s’il y avait péril en la nation, des armées d’orques à nos portes, une situation socio-politique totalement invivable. Comme si la véritable urgence ne se situait pas ailleurs. Totalement ailleurs.
Pour bien mettre en perspective cette initiative aussi futile que déraisonnable, je dérogerai exceptionnellement aux lois de protection du droit d’auteur en reproduisant un passage de l’épilogue du livre Mal de Terre que l’astrophysicien Hubert Reeves publiait, avec le philosophe et sociologue Frédéric Lenoir, en 2003. Comme il s’agit d’une bonne cause, en fait, je suis presque certain qu’ils ne m’en voudront pas. Et si c’était le cas, j’accepte de leur payer des droits tellement ce livre m’a passionné.
« Au XXe siècle, les existentialistes avaient défendu l’idée que l’homme est un étranger dans l’univers. Qu’il est « de trop ». Une sorte de chancre. Depuis ce temps, les nouvelles connaissances scientifiques, la découverte du big-bang, le déchiffrage de l’histoire de l’univers à partir d’un chaos initial vers des états de complexité de plus en plus grands, jusqu’à l’apparition de la vie sur la Terre ont réfuté cette vision du monde. Nous savons maintenant que nous nous inscrivons dans une histoire qui s’étend sur quinze milliards d’années, que notre présence implique l’existence antérieure d’innombrables étoiles fabricatrices d’atomes et de galaxies fabricatrices d’étoiles.
« Cette filiation donne une dimension supplémentaire à l’existence humaine. Il ne s’agit plus d’une simple et fugitive anecdote mais d’un chapitre de cette grandiose histoire. Elle implique pour nous une grave responsabilité : celle d’assurer la survie de la conscience et de l’intelligence sur la Terre.
« Notre livre, après bien d’autres, pose une question cruciale : cette complexité croissante que nous percevons tout au long de l’histoire de l’univers est-elle viable ? Quinze milliards d’années d’évolution pour l’avènement d’un être capable de découvrir l’origine de l’univers dont il est issu, de déchiffrer le comportement des atomes et des galaxies, d’explorer le système solaire, de mettre à son service les forces de la nature, mais incapable de se mobiliser pour empêcher sa propre élimination ! Voilà, en résumé le drame auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. »
Au lieu de chercher à mobiliser les Québécois autour d’une affirmation presque infantile, au point où l’on en est, de ce qui les différencie de leurs voisins, ne devrait on pas leur proposer plutôt de se doter d’une Charte de l’environnement, comme celle qu’adoptait officiellement la France en 2005 ? Cela nous permettrait peut-être de mettre à l’avant-plan de nos préoccupations ce qui doit l’être, et non pas l’accessoire ― cette affirmation nationale mort-née qui agonise, dans d’interminables et douloureux soubresauts, depuis la fin du XXe siècle et qui nous détourne maintenant de l’essentiel, soit la survie de nos enfants.
Bon. Je n’en veux pas à Daniel Turp. Je m’étonne juste que cet homme supposément intelligent se laisse ainsi aveugler par le remord de n’avoir pas vécu la Souveraineté du Québec de son vivant. À quoi lui servirait celle-ci, dites voir, si ni lui-même, ni sa descendance directe ou indirecte n’étaient en mesure d’en profiter correctement ?
En ce mois d’avril 2007, à l’issue d’une élection provinciale ayant accordé à peine 32 % de voix à deux partis souverainistes divisés sur leurs choix de société, quel urgent besoin y a-t-il de diviser les Québécois autour d’un projet de constitution politique ? Le plus lamentable, c’est que le mot « environnement » n’apparait qu’une seule fois dans ce texte anachronique :
« Le Québec exerce une compétence exclusive dans les matières suivantes :
- la santé et les services sociaux;
- l’éducation et la culture, notamment les communications, la langue, le loisir et les sports;
- l’économie et l’environnement, notamment les affaires municipales, l’habitation, la politique de la main-d’oeuvre, les ressources naturelles, le tourisme, l’agriculture, le développement régional, l’énergie, l’industrie, le commerce, la recherche et le développement; »
Une compétence exclusive en environnement ! N’est-ce pas du Elvis Gratton en chair et en paillettes ? Le Québec devrait-il exercer une compétence exclusive en matière de vents, de marées, de pluies acides et aussi, tant qu’à y être, revendiquer sa pleine souveraineté sur les plages de Floride ? Et puis quel rapport y a-t-il entre l’environnement, l’énergie et les ressources naturelles, hein ? [Réponse : les deux dernières cotisent à la caisse des partis politiques qui se fichent royalement du premier.]
Vraiment, je ne vous félicite pas pour ce manifeste ethnocentriste à courte vue, M. Turp. À l’intention de ceux qui, pures laines ou « importés », comme moi, en doutaient encore il y a peu, vous venez de prouver que le projet souverainiste, dans son cul-de-sac actuel, est totalement déconnecté de la réalité. Continuez à pérorer ainsi, la tête dans le sable de plus en plus brûlant de ces plages de rêves qui vireront bientôt au cauchemar, et vous ne passerez pas la barre de la prochaine élection.
Ou alors réveillez-vous, et vite, car il y a péril en la demeure et il n’est pas encore trop tard pour faire partie de la solution. Tous ensemble, comme un seul peuple. À l’Assemblée nationale comme à la Chambre des Communes et à l’ONU. C’est fort probablement ce qu’aurait souhaité René Lévesque, dont vous maniez le fantôme comme un vulgaire épouvantail. Il me semble aussi que c’est ce que souhaite l’écrasante et rassurante majorité du peuple québecois.