Comme de nombreux résidents du Québec, je suis récemment passé à la téléphonie IP et j’ai pris un numéro chez Babytel. J’ai voulu acheter un routeur «voix-sur-IP» (VoIP) sans fil à ce fournisseur, mais l’interface de configuration téléphonique du boîtier Linksys qu’il revend est verrouillée. Lui seul peut procéder à cette configuration. Ce n’est pas sa décision, parait-il, mais celle de Linksys, qui impose un reseller agreement explicite à cet égard : interdiction de laisser au client le contrôle de son service de voix. Vérification faite, au Québec, sur le marché grand public, on ne peut acheter de routeur WAN/VoIP Linksys que dans le cadre d’une offre incluant le service et sans pouvoir en changer par la suite — à moins de jouer les Robin-des-voix.
Conséquence première: si, demain, je voulais profiter d’une offre concurrente, je ne pourrais le faire sans acheter un autre routeur (comme au bon vieux temps des technologies propriétaires du modem 1X de Bell), perdant ainsi mon premier investissement. Il est évidemment stupide de payer un équipement qui vous rend dépendant d’un seul fournisseur.
Deuxième conséquence : j’achète une pièce d’équipement qui comporte d’emblée une porte dérobée à l’usage de mon fournisseur de service et dont je suis en droit de me demander jusqu’à quel point elle ne constitue pas une brèche de sécurité majeure dans mon réseau local. Voilà qui est très inquiétant, comme nous allons le voir plus loin.
Car ce qui est plus inquiétant encore, c’est que, depuis 2003, Linksys appartient à Cisco Systems. Or, Cisco équipe les centres réseaux d’un grand nombre de compagnies de télécommunication de ses équipements. Avec Linksys, elle contrôle maintenant le point d’entrée des clients en bout de ligne et jusqu’à leur réseau local privé. En imposant des politiques restrictives à ses revendeurs indépendants, elle les éduque à ce que sera demain l’ordre établi de l’Internet commercial : tout le contrôle au centre, un simple droit d’usage à péage en périphérie (1). C’est toute l’architecture philosophique d’Internet, fondée sur un réseau stupide et des clients intelligents, qui s’en trouve renversée.
Lorsque j’ai écrit au service à la clientèle de Cisco pour qu’on me dise de quelle façon je pourrais me procurer un routeur WRT54GP2-NA (NA signifiant « débarré ») pour mon usage personnel, quel que soit le fournisseur de téléphonie IP que je choisisse, j’ai reçu cette réponse:
The NA products requires special authorization to resell. That’s why you will not see it in a retail store. Here’s a link to a reseller where you can find an open source Linksys wireless voice router: http://www.voipsupply.com/product_info.php?&products_id=1628
C’est drôle, ce n’est pas moi qui ai mentionné le terme d’open source. Comme si les seules personnes réclamant un routeur indépendant de toute offre de service étaient celles qui veulent exploiter leurs propres services SIP. Il faudrait donc trouver une façon bien camouflée de les amadouer en laissant un seul modèle « neutre » accessible dans une obscure boutique spécialisée.
Pour conclure, je me suis trouvé bien smart de commander une boîte non verrouillée du fabricant Sipura, modèle que distribue notamment le fournisseur canadien Acanac. Manque de pot, j’ai appris depuis que Sipura a été rachetée l’an dernier par Linksys, elle-même propriété de Cisco . Je peux encore utiliser ma boîte comme je l’entends, mais pour combien de temps?
Plus Cisco fait son nid, plus le mien bat de l’aile.
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(1) Voir, à ce sujet, Hijacking the Internet, par Jeff Chester via Center for Digital Democracy [retour au texte]