Dans son éditorial de ce matin (malheureusement pas disponible en ligne), le chroniqueur le plus pro-américain — tendance républicaine — du Devoir s’indigne de la barbarie des meurtriers de Margaret Hassan, comparant l’événement de son assassinat à l’explosion de la première bombe atomique : un point de non-retour. Il prétend que les ravisseurs l’ont essentiellement choisie, elle, parce qu’elle était innocente et qu’on ne pouvait rien lui reprocher, omettant de rappeler en passant qu’elle était tout de même citoyenne britannique et, à ce titre, un symbole — innocent, parmi tant d’autres — de l’agression dénoncée et combattue — à tort ou à raison, bien ou mal, là n’est pas la question — par les terroristes irakiens.
On peut être d’accord ou pas avec cette vision. On peut souhaiter comme moi y apporter quelques bémols, mettre en parallèle les dizaines de milliers de victimes irakiennes innocentes, par exemple, que les médias occidentaux (Christian Rioux en tête) balayent sous le tapis commode des « dommages collatéraux ». Ce ne sont pas les femmes et les enfants irakiens sauvagement assassinés par les occupants, les prisonniers abusés ni les blessés désarmés que l’on achève de sang froid qui manquent. Mais il faut croire que cela interpelle moins la bonne conscience à sens unique (pour ne pas dire à sens inique) des spin doctors diplômés de l’Université Harvard qu’une brave mère Theresa occidentale et bien maquillée. Ça c’est sacré, mon brave.
Ce qui devient carrément inquiétant, c’est le post scriptum accusateur du chroniqueur : « Le dernier élément de cette tragédie, c’est qu’il n’y aura jamais des centaines de millions de personnes dans les rues pour dénoncer l’assassinat sauvage de Margaret Hassan. Cela reste pour moi un mystère. Je voudrais bien vous proposer une explication, mais je n’en ai pas. Où sont passés les millions de personnes qui, il n’y a pas si longtemps, défilaient dans nos rues contre l’invasion de l’Irak? (…) »
Je n’ai pas la réponse absolue à cette question, mais comme j’ai moi-même manifesté à plusieurs reprises contre la guerre en Irak, je veux bien émettre moi aussi quelques hypothèses subjectives et non vérifiables à ce sujet.
Nombreux sont les manifestants qui sont rendus à un tel point d’écoeurement par ce à quoi nous assistons depuis 18 mois en Irak, que plus grand chose ne les atteint, effectivement. La barbarie attendue et l’aspect boîte de Pandore incrontrôlable de cette guerre figuraient parmi les choses que nous dénoncions lors de ces manifestations. Elles se sont malheureusement avérées plus vraies que nature. Une victime de plus, aussi « politiquement correcte » soit-elle, ne fait pas vraiment de différence. Si nouvelle manifestatation anti-guerre il devait y avoir, je ne vois pas pourquoi on y différencierait la victime irako-irakienne innocente de l’icône occidentale crucifiée que représente (malheureusement pour elle) le visage en pleurs de Margaret Hassan.
Autre chose: ma copine Ariane me rappelle en passant que ce que M. Rioux aurait dû traiter pour réaliser une chronique utile, objective et intelligente, c’est le rôle de l’humanitaire à la fin des guerres contemporaines. Margaret Hassan était une humanitaire prise au piège, comme tant d’autres, d’un conflit où l’humanitaire est devenu un enjeu stratégique et politique. Ne pas voir cela, ne discerner dans ce drame qu’une image d’Épinal judéo-chrétienne, c’est vraiment rater une occasion de se taire pour mieux se terrer dans l’idéologie.
Bonne continuation, M. Rioux.
Une réflexion sur « La bonne conscience assassinée »