Ce mois-ci, sur mer et dans les airs, deux prouesses humaines entrèrent en collision. Le 4 mars, après 67 heures de vol ininterrompu, Steve Fosset terminait le premier tour du monde aérien en solitaire. Le 13 mars, le maxi-catamaran de Benoit Peyron atteignait l’île d’Ouessant après un tour du monde en équipage et sans escale de 50 jours, 16 heures, 20 minutes et 4 secondes, pulvérisant de plus de sept jours l’ancien record établi l’an dernier par… Steve Fossett. Curieusement, ce téléscopage médiatique riche en symbolique titanesque mais totalement inutile ravive mon intérêt pour la courbure et l’étrange fascination que celle-ci exerce sur les hommes.
Courbure de notre planète, bien sûr, se saoulant en tournant sur elle-même 365 fois par an comme un chien qui cherche à se mordre la queue et qui ne nous invite à la parcourir que pour mieux nous ramener à notre point de départ. Courbure de l’espace-temps, au cœur de nos cosmologies modernes, ayant comme effet secondaire peu scientifique mais non moins mystérieux que les hommes redeviennent des bébés en vieillissant et que les saumons se tuent à vouloir mourir près de l’endroit où ils sont nés.
Courbures féminines, célébrées par les peintres et les amants depuis la nuit des temps.
Courbure de l’éventail politique étiré par les extrémismes de droite et de gauche jusqu’au cercle parfait, déchaînant alors des tempêtes de sang et de haine sans autre Dieu ni maître que la folie humaine. N’est-il pas fascinant de relever les horreurs sacrilèges commises par les uns et les autres aux noms de Dieux que personne n’a jamais vu ou ce dont, si tel est le cas, personne n’a jamais apporté la preuve ? Comment les terres mille fois saintes du Moyen-Orient peuvent-elles se transformer en un trou béant rempli de haine religieuse, de sang séché et de pétrole infligeant la mort lente par asphyxie à toute la planète? Mystère.
Du coup, j’en viens à considérer cette nouvelle manifestation mondiale contre la guerre organisée aujourd’hui dans plus de 600 villes dans le monde comme un exercice sympathique mais futile. Après deux années de carnage et de manifestations, je n’ai plus la foi requise pour bêler avec les agneaux. Plutôt que de courber l’échine ou de m’époumoner en vain, je dirai cette fois « non à la guerre » en suivant la trajectoire courbe du soleil au-dessus du Mont Brome tout en traçant des ellipses sur la neige. Qui sait, au fond, si ce ne sera pas aussi efficace ?