En sortant du métro, je tombe sur ce vieux sud-américain qui joue Besa me mucho à l’accordéon, assis aux pieds d’une fille allongée dans une pause passablement suggestive — création publicitaire en mal d’imaginaire oblige. Au-delà de ce contraste un peu troublant, la pureté et l’humilité du vieil homme chantant à voix très basse, comme pour ne pas déranger les passants, m’invite à l’écouter.
J’apprécie la discrétion de sa voix grave et l’absence de prétention de sa mélodie triste et chaude. Je me fends spontanément d’un deux dollars et le dépose, comme il se doit, dans l’étui de l’instrument. Et puis l’envie me vient de filmer ce personnage, ne serait-ce qu’un instant. Je demande sa permission. Il accepte en souriant.
Une minute plus tard, le viel homme regarde son image enchâssée sur le petit écran et son oeil se met à pétiller. Il aimerait vraiment que je lui offre une copie de la séquence, si anodine et si merveilleuse, la réalité n’étant après tout que le fruit de la subjectivité. Comment refuser? Reste à savoir sur quel support, car les mots internet, ordenador et où-est-cébé ne semblent pas faire partie de l’univers poétique des accordéonistes latinos sexagénaires de Montréal.
La conversation se termine par un échange de numéros de téléphone, puis je regagne mon domicile. Après souper, les journaux du matin qui n’en ont que pour le pape et les chaînes de télévision dont le matraquage semblent singer ad libitum les battements du sacré coeur défunt me font irrésistiblement penser au déluge. Afin de leur échapper, j’enfourche mon fidèle ordenador et m’empresse de mettre au monde (qui n’en demande pas tant) ce petit intermède pétri de la noblesse des humbles. Le pape est mort mais je m’en tape car la sortie VHS est prête. Le vieux bonhomme sera content! 🙂