Cette semaine, par curiosité, je suis allé voir en ligne ce que pensait le délinquant (*) Alain Juppé, ex-Premier ministre de la France et professeur invité de l’École nationale d’administration publique du Québec, de l’embrasement des banlieues françaises. J’y ai d’abord lu, en date du 3 novembre, les propos singulièrement hésitants d’un politicien déboussolé par tout ce qui lui arrive.
Face à la réaction d’un Claude Lamotte, qui souhaitait connaître son avis précis sur trois axes (causes, finalités, remèdes), il s’est ensuite fendu d’une analyse fourre-tout où l’on retrouve notre autruche française, si fière de son vertueux ramage qu’elle en oublie les innombrables forfaits commis à l’encontre de ses anciennes populations coloniales.
Pendant trois siècles, en effet, la France a dominé, exploité, colonisé, maté, parfois torturé et même massacré ses populations africaines. Puis, dans la seconde moitié du XXème siècle, elle les a importées comme main d’oeuvre à bon marché, parquées dans des campements, puis des cités précaires (**), jusqu’à ces innommables univers concentrationnaires de banlieue où elles sont toujours mises de côté, rejetées à l’embauche, éloignées des postes de pouvoir, ignorées, méprisées, ostracisées, marginalisées, rabaissées, considérées comme une caste inférieure, même après trois générations, tout juste bonne à se tenir à carreaux ou à faire des conneries. Version juppéenne : « Ah mais si vous saviez tout ce que nous avons fait pour eux ! »
Le pire, dans l’attitude volatile de l’ancien premier ministre, c’est que sa ligne de défense en arrive à ce constat autruchien : « Responsabilité de la société française dans son ensemble qui n’a sans doute pas pris conscience que l’Islam était devenue la deuxième grande religion de France et devait être reconnue comme telle. (…) Responsabilité aussi de l’Islam de France. Car il faut bien en venir au coeur de la question! » Le coeur de la question, selon lui, c’est l’Islam radical. Lumineux, n’est-ce pas ?
Suit une dissertation sur les droits de l’homme et la séparation de l’église et de l’État. À quoi bon accorder tant d’importance aux religions de France, Monsieur le professeur, puisque vous les disqualifiez d’emblée ? Votre devoir de réthorique de niveau sous-collégial a reçu ce qu’il méritait — une multitude de réactions parfois néo-vichistes, parfois intelligentes, mais le plus souvent en total désaccord avec votre interprétation sécuritaire. Bush nous a déjà fait le coup de la guerre au terrorisme une fois, avec le résultat que l’on sait. Merci bien.
Du coup, face à cette singulière levée de bouclier, Maître Juppé, sur son érable perché, s’est finalement senti obligé de mettre un peu de lait dans son fromage en étalant la science des autres — probablement parce que la sienne a démontré son inanité à tous les niveaux, économique, social, environnemental, éthique et judiciaire. Dans un collage impressionniste publié le 15 novembre, l’énarque déchu cite les rapports du Haut Conseil à l’Intégration (que de hautaines majuscules !) et de la Cour des Comptes sur la question de l’accueil des immigrants et de l’intégration des générations subséquentes : « Ces rapports (…) aboutissent tous à la même conclusion: le modèle d’intégration à la française est en panne, d’autant plus que les populations issues de l’immigration sont très fortement concentrées (…). » CQFD.
Pour conclure, il fallait bien vanter les réalisations inoubliables des autorités françaises en la matière. Sans rire, Juppé cite « notamment la création du « contrat d’accueil et d’intégration » (CAI) et surtout la mise en place de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) dont la présidence a été confiée à l’ancien patron de Renault, Louis Schweitzer ». Ligne de défense typique du technocrate. Quel est l’imbécile, en passant, qui a confié la présidence de cette Hautaine Autorité à un type s’appellant Louis Schweitzer ? N’y avait-il pas un français issu de l’immigration assez instruit et qualifié pour la fonction ? Si oui, comment se fait-il qu’on ne l’aie pas nommé à ce poste hautement symbolique ? Et sinon, qu’attend la France pour faire en sorte que cela soit possible ? Poser la question, c’est y répondre.
Aussi aveugle qu’il soit, Alain Juppé s’amende quelque peu dans sa conclusion : « Toutes les mesures gouvernementales resteront insuffisantes s’il n’y a pas un changement de comportement et une authentique volonté d’intégration du corps social tout entier. » Le bon diagnostic posé, il reste cependant muet sur les remèdes. Il faut dire qu’il a encore quelques mois d’inéligibilité devant lui pour réfléchir et sonder l’opinion sur son blogue, après quoi « la racaille » n’aura qu’à bien se tenir, coincée entre l’esbrouffe musclée de Nic Sarko et le louvoiement en eaux troubles d’Al1 JuP.
*Alain Juppé : côté pile et côté face.
** Lire, à ce sujet, les édifiants ouvrages de Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki et Destins de harkis. Aux racines d’un exil.