Murs visibles et invisibles

Vicente Fox fustige le Congrès américain, qui veut construire un mur, le long du Rio Grande, afin d’endiguer le flot d’émigrants pénétrant clandestinement aux États-Unis. Ce mur me fait penser aux sans-abris, claquant des dents dans les rues de Montréal au nez et à la barbe des passants emmitouflée dans l’univers sonore de leurs baladeurs numériques.

Sans-abri devant une vitrine de Noël

Un nouveau pays sud-américain (la Bolivie) vient de passer l’urne à gauche en élisant démocratiquement le premier président indigène de l’histoire du continent. Plus au Nord, le très libéral président mexicain, Vicente Fox, fustige le Congrès américain, qui veut construire un mur, le long du Rio Grande, afin d’endiguer le flot d’émigrants pénétrant clandestinement aux États-Unis. Un mur tombe quand un autre s’élève. Intéressant contraste, si ce n’est, même, une relation involontaire de cause à effet.

Après la révolution bolivarienne du vénézuélien Chavez, le socialisme classique du brésilien Lula et le péronisme de gauche de l’argentin Kirchner, c’est en effet au tour de la Bolivie d’inquiéter les Américains. Quelle succession de revers pour la Banque mondiale, le FMI et la généreuse « aide » américaine annuelle de 150 millions $ versés à la Bolivie par les États-Unis ! Après 40 ans d’embargo made in Washington, les cubains de Fidel Castro sont moins isolés que jamais. Ce sont désormais les États-Unis qui s’isolent eux-mêmes afin de résister à l’invasion d’une plèbe de gauche et basanée.

Plus que d’un « mur de la honte », pour reprendre l’expression du président mexicain (qui le compare, non sans raison, au mur israëlien), il s’agit d’un muret illusoire, d’une ligne de défense virtuelle, qui coûtera cher au Trésor public sans être réellement efficace. Cela mettra cependant un peu de baume au coeur des assiégés, tout en accroissant la fracture économique, sociale et culturelle séparant les deux pays.

Ado se promenant avec ses écouteurs sur les oreillesCe projet de cloisonnement continental me fait penser aux sans-abris qui claquent des dents, dans les rues de Montréal, au nez et à la barbe des passants emmitouflés dans l’univers sonore de leurs baladeurs numériques. Il suffit d’en faire l’expérience pour se rendre compte qu’une simple bulle de musique peut nous protéger en apparence du monde extérieur, en nous déconnectant de la réalité.

Avec de la musique dans les oreilles, on n’entend plus le quêteux qui demande un petit peu de change. On ne perçoit plus de façon aussi poignante le sort inacceptable de la pauvre vieille fouillant dans les poubelles. L’émotion musicale agit comme un pansement sur les blessures du monde qui nous entoure. Comme dans un décor de film, le réel devient irréel. Plus rien n’est grave. On est anesthésié.

C’est là toute l’essence du piège consumériste que nous avons créé de toutes pièce. D’insignifiants objets technologiques éloignent de notre sphère émotive et sensorielle l’infinie misère du monde. Ces gadgets nous permettent de nous bercer d’illusions de bonheurs fugaces nourries au fast food et à la télé-ralité, sur fond d’injustice sociale, d’environnement jetable et d’effet de serre. Nous pelletons en avant, sans comprendre que plus nous pelletons, plus le mur s’élève — et plus douloureuse sera sa chute.

Car, tôt ou tard, il faudra bien composer avec ce réel que les sud-américains, économiquement moins compromis que nous, prennent aujourd’hui à bras le corps. Tôt ou tard, nous devrons, nous aussi, prendre notre place dans un monde condamné à retrouver son équilibre, devenir monstrueux ou disparaitre. Espérons que nous opterons pour le premier choix, en commençant par retirer nos écouteurs lorsque quelqu’un nous parle dans la rue.

Le débat des chefs de pub

Téléspectateur avachi
Source: ClipartKey

Le Canada est en campagne. Après les premiers débats télévisés opposant — ou, plutôt, juxtaposant — les chefs des principaux partis fédéraux, une question demeure: s’agit-il d’une campagne électorale, publicitaire ou médiatique? La nouvelle formule pose en effet plus de questions médiatiques qu’elle n’apporte de réponses politiques. Résultat: cet exercice hautement démocratique s’apparente moins à un débat d’idées qu’à une longue pause publicitaire. Inévitablement, c’est la qualité de l’information offerte aux citoyens qui en fait les frais.

À première vue, pourtant, le citoyen est à l’honneur. Dans un effort louable pour lui laisser toute la place, la journaliste animant le débat ne fait que relancer les questions posées directement par un échantillon hétéroclite de citoyens et encadre les réponses données par les politiciens. N’est-ce pas là l’expression même de la démocratie participative? Pas vraiment, et ce pour plusieurs raisons.

  1. Les questions sont filtrées. Environ 10,000 questions ont été adressées par les citoyens, mais les états-majors médiatiques n’en ont retenu qu’une vingtaine. Selon quels critères? On ne le saura jamais.
  2. La mise en scène « télé-réaliste » domine. En effet, on est allé filmer les citoyens chez eux, dans la rue, au travail, ce qui ajoute une foule d’informations subjectives à leurs questions. De cet homme un peu hautain, qui attaquait le Bloc Québécois, par exemple, j’ai pensé qu’il avait un mobilier aussi cossu que quétaine. Cela a inévitablement influé sur la façon dont j’ai reçu sa critique.
  3. Le zapping est réducteur. La règle d’équité absolue, qui force les politiciens à exprimer des idées parfois complexes en 29 secondes et trois quart, n’a en effet aucun sens. Contrairement à un message publicitaire, la valeur d’une pensée politique ne réside pas dans sa concision, mais dans sa justesse et dans la nature de la conviction qui la porte — autant d’éléments qui ont besoin d’autant de temps et d’espace que nécessaire pour s’exprimer.
  4. L’absence de dialogue entre les adversaires, enfin, ne permet pas d’aller au bout des contradictions ou, au contraire, des similitudes qui existent entre leurs options. Il faut les appréhender à partir d’une juxtaposition de « clips politiques », ni plus ni moins, certains barbouillant à gros traits le linge sale de l’adversaire, la plupart lavant plus blanc que blanc.

Qu’est-ce qui ressort de cette heure de réclame? Pas grand-chose d’intéressant, d’où la déception et le désintérêt manifestés par le public pour ce débat. Comme par hasard, les quatre chefs de pub se sont déclarés satisfaits de leur prestation — et pour cause, puisque la formule leur évitait tout dérapage et incident majeur. Seul le Bloc Québécois a fini par la désavouer, admettant qu’elle « ennuyait » les citoyens.

Une fois de plus, la preuve est faite que « le médium est le message » et que le fast debate est à la démocratie ce que le fast food est au métabolisme. Cela fait quelques décennies que le médiatique dénature ainsi le politique, n’ayant pas pour mission d’éclairer la conscience citoyenne sur les enjeux véritables, mais plutôt d’alimenter en clichés cathodiques une « opinion publique » affective et mollement consentante. Il n’est donc pas étonnant que la propagande à courte vue remplace les projets visionnaires, ni que la corruption subsiste, ni que les méthodes autoritaires l’emportent sur l’art de la négociation.

Le pire, c’est que les journalistes, les politiciens et même les braves citoyens-inquisiteurs qui se prêtent à ce jeu lamentable ne s’en rendent pas compte, obnubilés par leur image et par les hallucinations cognitives auto-satisfaisantes qu’elle génère. On appelle cela la « démocratie d’opinion ».

Montréal souffle le chaud et le froid

Un bon -5°C n’a pas empêché 40 000 citoyens montréalais de défiler dans les rues afin d’exiger, de la part des industriels et des gouvernements, des actes concrets et immédiats pour contrer le réchauffement climatique.

Deux petites filles qui ont plus de vision que bien des adultes!

La Conférence de Montréal sur les changements climatiques n’en est pas à un paradoxe prêt. Cette semaine, la météo québécoise jouait au yoyo, passant de la douceur automnale à l’affirmation glaciale de l’hiver. Pour finir en beauté, une température inférieure à moins cinq degrés Celsius n’a pas empêché des milliers de citoyens — 6 000 à 40 000, selon les estimés — de réchauffer les rues de la métropole en exigeant des actes concrets et immédiats, à l’échelle locale, nationale et planétaire, pour contrer le réchauffement.

Il était particulièrement important que cette marche soit un grand succès populaire. De la Nouvelle-Angleterre au Quatar, de Londres à Beijing, de Paris à Sydney, les agences de presse du monde entier avaient, aujourd’hui, les yeux et les oreilles rivées sur Montréal, qui accueille la Conférence sur les changements climatiques de l’ONU.

Pourtant, qu’il y ait eu 6 000, 15 000 ou 35 000 citoyens dans la rue, aujourd’hui, il faut admettre que ce chiffre est encore bien faible par rapport à ceux du 15 février 2003, alors que plus de 100 000 montréalais défilaient, par moins quinze degrés, contre la guerre en Irak. Il faut dire que cette manifestation historique était la troisième en autant de mois et que, chaque jour, les médias agitaient devant la population le spectre de la guerre.

Que faut-il en conclure?

  • Probablement que la mobilisation populaire s’accentuera au fil des catastrophes économiques et des drames humanitaires que nous allons hélas! immanquablement subir au cours des prochaines années.
  • Qu’il reste un énorme travail médiatique à faire afin de convaincre les hommes de relever la tête ainsi que l’énorme défi qui les attend. L’être humain n’est pas très différent de l’autruche, en effet, avec sa tête toujours plongée dans le sable, à la recherche de pétrole ou d’un quelconque paradis, sans mesurer les conséquences de ses actes.

Raison de plus pour ne pas lâcher et pour organiser régulièrement d’autres marches symboliques comme celle-là. Bravo et merci à celles et ceux qui ont ainsi bravé l’effet de serre en se congelant le derrière. Un bâton de réglisse au bec, René Lévesque leur aurait certainement dit quelque chose comme : « À la prochaine fois ! » 😉

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