L’Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres se bat contre le projet de loi Droits d’auteurs, droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) qui vise à concilier, en France, « le respect de deux valeurs d’importance égale : la légitimité de la rémunération des créateurs et l’accès du plus grand nombre à la culture et à la connaissance ». Une fois de plus, ce débat met en lumière l’impossible confusion entre le matériel et l’immatériel à laquelle nos sociétés sont confrontées.
Selon le gouvernement français, en effet, « la gratuité est un mythe, destructeur de la création la plus audacieuse et la plus innovante », ce qui légitime le recours, au profit des ayants droits, à des Mesures Techniques de Protection (MTP, ou DMR, pour Digital Rights Management, en anglais).
Selon l’AFUL, « L’affirmation selon laquelle ce projet de loi défendrait les artistes contre les tenants de la gratuité que nous serions censés être, procède de la désinformation. (…) L’objectif de ce projet de loi n’est pas simplement d’assurer que les oeuvres seront légalement acquises, mais bien plus qu’elles le seront à nouveau à chaque changement technique, décidé justement par ceux qui les vendent. » Et de citer l’exemple de Sony, qui introduisait récemment un logiciel espion dans ses CD musicaux afin d’empêcher ses clients de copier ceux-ci sur leurs ordinateurs.
Autrefois, les choses étaient plus claires. Le clergé disciplinait les âmes, tandis que les industriels et les marchands régnaient sur la matière. On vendait donc des partitions et des disques en vinyl, sans se soucier des copies de médiocre qualité qui circulaient un peu partout. Le curé n’y trouvait rien à redire.
Aujourd’hui, on vend des « produits culturels », pompeusement baptisés « oeuvres », qu’on distribue à moindre frais par Internet, sous forme immatérielle. La nature même des technologies numériques fait en sorte que ces produits peuvent être reproduits à l’infini, sans perte de qualité. Du coup, le marchand cherche à étendre son contrôle à l’immatériel, violant, au passage, la conscience et la vie privée de ses clients.
Psychologique, sa première arme fut la morale. Cela se traduisit par des campagnes de sensibilisation martelant en substance : « Ce n’est pas bien de copier ! ». La seconde fut le droit, donnant lieu à des poursuites judiciaires visant des mineurs de douze ans accusés de piratage. La troisième fut la technologie, qui rend effectivement un peu plus difficile les copies illégales et qui lui valut le renfort des grandes entreprises du secteur informatique, attirées par l’odeur du magot. Voici maintenant la menace politique, dernier verrou d’une stratégie visant à neutraliser coûte que coûte les vilains « corsaires » aux-couteaux-entre-les-dents que nous sommes.
Le problème, c’est que (1) l’exécution analogique d’une oeuvre culturelle numérisée et sa renumérisation seront toujours possible; (2) la dérive sécuritaire ne peut que se faire au détriment des libertés, notamment celle d’utiliser les technologies et les plateformes de son choix. Or, la nature des logiciels libres exige la transparence du code source tandis que l’interopérabilité nécessite des formats de fichiers normalisés. Ces exigences s’accordent assez mal avec les technologies hautement propriétaires des maîtres du secret industriel.
L’esprit n’est pas la matière et la culture n’est pas un commerce trivial. Le droit légitime de vendre des disques, des livres, des films ou des logiciels n’entraîne pas celui d’imposer à la société des choix technologiques rigides. L’interdiction de la rediffusion marginale d’oeuvres culturelles dans la sphère éducative ou privée équivaut, toutes proportions gardées, à la commercialisation de semences alimentaires stériles, l’un des plus grands scandales de notre temps.
En ce qui me concerne, j’achète légalement des chansons sur Internet et je m’empresse toujours de les renumériser en MP3 pour les mettre à l’abri sur un disque dur de réserve. Cela me permet de les lire indifféremment sous Windows, Linux, mes lecteurs audios et mon Palm. Quoi qu’ils fassent au plan technique, les industriels de la culture ne peuvent m’empêcher de commettre un acte aussi légitime et ce n’est certainement pas en le rendant artificiellement illégal qu’ils y arriveront.