Le quotidien Le Devoir publiait, ce matin, une excellente contribution signée par Omar Aktouf sur le désastre libanais. Sous le titre Barbarie au Moyen-Orient et Arabes tétanisés, le professeur de gestion des HEC Montréal s’insurge avec rigueur contre la désinformation que nous servent sans vergogne les diplomaties occidentales et les agences de presse au sujet de ce conflit. Au-delà du cynisme occidental, il stigmatise les élites arabes dont les « revenus sont placés à Paris, à Londres ou à New York, et [que] la crainte d’idées et de groupes organisés (Hamas, Hezbollah, groupes chiites…) qui s’opposent aux familles arabes hyper-milliardaires (…) épouvante. Ils signeront plutôt les chèques qui garniront les coffres des multinationales qui viendront « reconstruire » Beyrouth, et qui assureront leur pérennité au pouvoir. »
En page B2, les lecteurs du même quotidien peuvent s’enrichir d’un texte de John R. MacArthur qui élargit cette analyse du cynisme diplomatique au Proche-Orient. Il remonte à la Guerre du Golfe et bien avant afin de nous faire comprendre le jeu pervers des grandes puissances (États-Unis en tête) dans la région. « Ayant acquis le goût pour le pétrole arabe (et iranien) pendant la Deuxième Guerre mondiale, écrit-il, l’Amérique avait appris les règles du jeu pour manipuler les nations arabes inventées par les Britanniques et les Français afin de mieux exploiter les biens des tribus et des clans rivaux. La règle diviser pour mieux régner continue d’une certaine manière d’être appliquée. L’instabilité et la guerre «communale» arrangent le maître colonial, du moins jusqu’à un certain point. »
(Malheureusement, ce brillant article est réservé aux seuls abonnés du journal. Je trouve cela aussi stupide que le fait de ne jamais ajouter des liens pertinents vers des sources externes aux articles, lorsqu’elles existent. Cela démontre une méconnaissance totale de la dynamique économique de l’Internet, les profits que Le Devoir retirerait d’une publication complète de ses contenus en ligne surpassant de loin les pertes qu’elle lui infligerait.)
Ceci dit, cela permet aux lecteurs exigeants de faire des recherches et de trouver facilement des perles équivalentes sur Internet. L’article de MacArthur publié par Le Devoir n’est, par exemple, qu’une traduction mise à jour d’une analyse publiée le 31 juillet dernier et disponible gratuitement, mais en anglais, sur le site de Harper’s.
Et puis cela m’aura permis de retrouver un autre article passionnant du même auteur que j’avais raté, le 24 juillet, sur la censure politique ou commerciale des médias français et américains. On y trouve notamment cette inquiétante citation : « La demande des médias et des entreprises de presse pour former leurs journalistes aux réalités du management est croissante, écrit Nicolas Beytout, directeur du cycle du programme et directeur de la rédaction du Figaro. Aujourd’hui, les nominations aux postes d’encadrement se font davantage sur des critères d’excellence journalistique […] pourtant il y a des professionnels prêts à s’investir pour se former à l’exercice des responsabilités intégrant management de proximité et logique économique qui déterminent la vitalité et la créativité des médias. »
Raison de plus pour apprécier l’engagement dénué de censure et de langue de bois d’un professeur de « management » québécois comme Omar Aktouf. Le fait qu’il soit d’origine algérienne, ancré à gauche et professeur plutôt que journaliste n’est certainement pas étranger à cette transparence.
Voilà pourquoi les libertés de migrer librement, de penser librement et d’enseigner librement sont aussi importantes que la liberté de presse. Partout où les logiques inavouables de l’exclusion et de la compromission s’insinuent, l’humanité recule et le diable se réjouit, pour reprendre la formule de conclusion de MacArthur.