Jamais je n’aurais cru passer plus d’une heure, ce soir, sur le site Web d’une marque de jean’s. C’est pourtant ce qui m’arriva. Diesel Heaven : un « voyage » remarquable dont je reviens indemne, mais avec plus de questions en tête que de réponses…
La première évidence qui m’est venue à l’esprit, c’est que j’étais en présence d’une nouvelle forme d’art numérique interactif très achevé. Cette gigantesque animation vidéo hyper scénarisée est franchement… euh… magnifique. Ainsi, les marchands du temple de la mode sont prêts à enfouir leur discours mercantile derrière une riche fresque de lumière, de couleur, de mouvement, de musique et d’émotion.
Les artistes qui ont réalisé ce travail colossal ― car il s’agit véritablement d’artistes, à ce que j’ai pu voir et entendre ― sont au service d’une marque, comme Léonard de Vinci et Michel-Ange furent autrefois au service des princes. L’argent confère le pouvoir, le pouvoir nourrit l’artiste, l’artiste génère la grâce et celle-ci subjugue le peuple comme les puissants.
La seconde évidence, c’est que la communication de la marque ― car il ne s’agit pas de publicité, ici, mais bien de communication ― est entrée de plein fouet dans l’ère de la nouvelle cyberculture, atteignant un degré d’esthétisme supérieur à celui de bien des sites culturels. Derrière Diesel Heaven, sa richesse graphique, ses petits cadeaux numériques et son interactivité, il y a d’ailleurs d’autres sites remarquables, comme Camouflage Tales, un conte interactif à la gloire de l’amour et de la sensualité textile, ou Diesel Denim Dimension, un magistral défilé de mode virtuel, auquel on est invité à ajouter sa photo.
Je n’ai rien appris d’intéressant, ce soir, mais j’ai vécu un bon moment de divertissement en ligne, gracieuseté d’un fabricant de vêtements. Dois-je applaudir et en redemander ou bien me lamenter devant un tel gaspillage de talent?
Saisie d’écran de Camouflage Tales
Une question : est-ce qu’ils sont parvenus à faire de toi un consommateur de leurs produits pour autant ?
Christian en Diesel. Site ou pas, je suis sur qu’il serait très mimi. Et ce, pas à un petit prix!
Je serais très mimi, c’est sûr, mais ma conscience éco(nomie)logique m’interdit de rouler les hanches en diesel. J’attends qu’ils sortent les jeans solaires, sur lesquels je pourrai recherger mon laptop, mon iPod et mon Nokia dernier cri sans polluer la planète. Ne rigolez pas, ça s’en vient sûrement 😉
Plus sérieusement, Marie, si j’étais dans la cible (jeune branché, etc), c’est sûr que ce site créerait en moi un sentiment d’attirance pour la marque. Il le crée déjà, en fait, que j’en sois conscient ou non, mais je viens de m’acheter deux nouveaux jeans la semaine dernière. Je te dirai donc dans six mois si le marketing artistique a fonctionné ou pas 😉
Z’êtes marrants tous les deux !
Je ne suis pas allée voir la pub, Christian, j’ai résisté à la tentation (que tu brandis de façon éloquente !), y a trop à voir et le temps nous est compté, n’est-ce pas… Dans le passé, j’ai déjà été voir ces films qui présentent les sélections des meilleures pubs (me rappelle plus du nom qu’on leur donne), et c’est vrai qu’il s’en trouve qui sont de vrais bijoux. Reste que la pub m’influence bien peu en général, et d’ailleurs je trouve que notre espace visuel en est de + en + pollué, on en placarde partout, tellement que ça me donne la nausée. C’est tout juste si ça ne provoque pas en moi la réaction inverse à celle visée, i.e. l’envie de boycotter activement.
Au fait, d’où ça vient cette expression, « mimi » ? Ah, c’est une abréviation de mignon ?
Kim a passé deux ans à Paris, si je me souviens bien, et il a dû y entendre cette expression — « Comme c’est mimi ! » — environ 13 400 fois.
Pour le reste, ton attitude face à la pub n’est pas très différente de celle des 15-30 ans qui sont tombés dedans lorsqu’ils étaient petits et dont les sites de marketing web de Diesel (entre autres) cherchent à récupérer la clientèle à tout prix. C’est ce qui me trouble. Ici, la pub se cache derrière une communication subtile qui met l’art graphique et le spectacle en avant. Il est donc plus difficile de l’ignorer que s’il s’agissait de vulgaires réclames télévisées.
Le risque, c’est que les jeunes l’intériorisent et finissent par s’en réclamer (si je puis dire) sans même s’en rendre compte. Ce sont les conditionnements que nous intériorisont qui sont les plus difficiles à déjouer — et Dieu sait qu’il y en a, à tous les échelons de la société.