Cette semaine, le Bureau de la Ville intelligente de Montréal inaugurait une série de trois ateliers de cocréation citoyenne sur le thème de l’évolution de la présence numérique de la Ville de Montréal. Ayant déjà participé à deux événements du même ordre l’an dernier et trouvant ce genre d’expérience intéressante, je me suis engagé à y assister. Voici un rapide compte-rendu de ma participation au premier de ces trois ateliers, qui portait sur les services numériques.
Comme toujours lors d’un tel exercice, l’assistance fut divisée en petits groupes, chacun rassemblé autour d’une table avec mission de plancher sur un sujet précis. J’ai choisi l’un de ceux qui me semblait le plus essentiel :
Imaginez un service en ligne permettant de donner un avis sur un projet de règlement [municipal]
Mon groupe était constitué de cinq personnes, dont une animatrice du Service des communications et des relations avec les citoyens de la Ville. J’étais le seul à avoir une idée relativement précise des échanges publics précédant le vote des règlements municipaux. Ce vernis de « culture » démocratique de bas niveau, je l’ai acquis l’hiver dernier en assistant à plusieurs séances du Conseil d’arrondissement d’Outremont, alors aux prises avec l’une de ces mémorables chicanes interculturelles dont l’ex-ville fusionnée a le secret.
Bref… Voici ce à quoi nous sommes arrivés:
Cette feuille de notes résume ce que quatre citoyens et une communicatrice de la ville ont réussi à débroussailler en trois heures. Vous n’y trouverez ni gadget ni néologisme à la mode — rien que du gros bon sens pouvant servir de base à une réflexion plus poussée. La présentation que nous en avons donnée en fin d’atelier n’aura duré que trois minutes et je vais tenter de la résumer ici.
Problématiques actuelles
D’après notre expérience limitée, la formule de débat démocratique pratiquée lors de l’adoption des règlements municipaux en conseil d’arrondissement souffre des lacunes suivantes :
- À moins d’être directement concernés, les citoyens n’ont pas ou que très peu d’information sur les enjeux des règlements proposés, ce qui ne favorise pas l’élaboration d’une opinion ni, surtout, sa pertinence.
- La période de question est limitée. Peu de gens ont le loisir de s’exprimer, leurs interventions étant de plus restreintes à la formulation d’une « question principale » et une « question corollaire ».
- Les réponses des conseillers sont parfois artificielles, évasives ou hors sujet. Bien souvent, ils ne disposent tout simplement pas de l’information demandée, se défaussent sur les fonctionnaires qui n’en savent pas plus et, au final, affirment qu’ils reviendront avec la réponse plus tard (ce qui, on s’en doute bien, n’arrive pas toujours).
- Au final, le citoyen a l’impression de n’être entendu que d’une oreille distraite. Il ne peut qu’imaginer ce qui se trame en coulisse, au niveau politique, et spéculer sur la rationalité sous-tendant les positions convergentes ou divergentes des conseillers. Il a beau essayer de s’impliquer dans la vie de sa collectivité, il reste sur sa faim.
Les principaux avantages attendues du service sont :
- Une meilleure compréhension du travail réalisé par les élus et l’administration municipale.
- Un engagement accru des citoyens dans les affaires de leur cité.
Donner son avis… oui, mais sur quoi?
Avant de penser à donner son avis, encore faut-il connaître un peu le dossier. À moins de vouloir mettre en scène un simulacre de démocratie directe n’ayant aucun impact sur la gouvernance réelle de la Ville, il serait judicieux d’informer les citoyens en amont des tenants et aboutissants des projets pour lesquels on sollicite leur avis.
À l’heure actuelle, les dossiers sont préparés par les fonctionnaires d’arrondissement et transmis aux élus, mais pas divulgués à la population. Celle-ci n’a droit, à quelques jours d’avis, qu’à un ordre du jour assez laconique (exemples). Ce n’est que lors de la période des questions précédant la séance de vote des conseillers que les citoyens ont la possibilité d’interroger ces derniers pour tenter de comprendre leurs positions et leur communiquer, tant bien que mal, parfois in extremis, leur opinion.
Idée n°1 – Chaque projet de règlement faisant l’objet d’un appel à avis citoyen devrait être clairement présenté sous forme de dossier accessible sur une page (URL) dédiée facile à partager. La documentation requise (échanges de lettres, courriels officiels, rapport des services juridiques, patrimoniaux, etc.) devrait, dans les limites requises par la protection légitime des informations personnelles des citoyens concernés, y être attachée. #transparence #efficience #intelligence
Esquisse des principales fonctionnalités
Ces bases étant posées, nous avons commencé à réfléchir à la forme que pourrait prendre le projet. Très rapidement, l’analogie avec un réseau social de type Facebook a été mise sur la table. Il s’agit en effet de pouvoir discuter d’un projet (forum), mais aussi de pouvoir publier des photos ou des vidéos pour appuyer son propos. Certaines fonctions seraient plus proches de celles de Google Drive (partage de documents texte, tableurs ou PDF pour les mémoires et sources documentaires) ou encore de Doodle ou Framadate (agendas et sondages en ligne).
Un média social ouvert, mais aussi sécuritaire et modéré (!)
La très grosse différence, c’est que nos données personnelles n’y seraient pas analysées, traitées et transigées sur le marché du Big Data. L’identité des utilisateurs y serait vérifiée et validée, par exemple à l’aide d’un numéro de compte de taxes, de carte de bibliothèque ou d’Accès Montréal.
Les participations seraient évidemment nominatives et modérées selon des règles claires, appliquées à la lettre. Sans cela, on tomberait rapidement dans les travers des commentaires anonymes, insignifiants, voire insultants que l’on trouve dans certains sites de médias.
Idée n°2 – Afin d’équilibrer la nécessité d’ouverture avec celle de la protection, il faudrait rendre les publications accessibles à tout citoyen de la Ville enregistré sur la plate-forme, mais pas nécessairement au reste du monde — et surtout pas aux moteurs de recherche et autres moissoneuses de données.
Des fonctions de filtrage
Rares sont les citoyens intéressés à tous les sujets traités par leurs gouvernements. Ceux qui le sont, en général, deviennent politiciens. 😉
Idée n°3 – Dans le profil utilisateur du service, on devrait pouvoir cocher les sujets que l’on souhaite voir en priorité lorsqu’on se connecte. Exemple: transport, voirie, culture, urbanisme, OK, ça m’intéresse. Éducation, religion, sports, commerce, désolé, ça ne m’intéresse pas (ou tout autre choix et combinaison).
Un système de notification flexible
Une fois passé l’effet de la nouveauté, il est probable que l’intérêt des citoyens pour la plate-forme s’estompe rapidement. Pour le renforcer, il nous semble indispensable d’offrir à ceux (et seulement à ceux) qui le désirent un service de notification. Reste à accommoder aussi bien les citoyens désirant se tenir informés en temps réel que les autres, qui risqueraient de se lasser s’ils sont bombardés de courriels.
Idée n°4 – Le service de notification par courriel devrait permettre de choisir, à l’aide d’une liste de cases à cocher, les thématiques pour lesquelles on souhaite être mis à jour. Il devrait aussi permettre de personnaliser la périodicité des alertes. Par exemple: chaque jour, chaque semaine ou chaque mois.
Réduire la fracture numérique grâce à la vidéo
Tous les citoyens ne disposent pas des mêmes capacités à s’exprimer en ligne. « 53 % de la population [québécoise] n’atteint pas le seuil souhaitable pour fonctionner correctement dans une société qui gagne en complexité à chaque année », rappelait cet été un article du Huffington Post. De ce nombre, 19 % seraient incapable de lire et d’écrire. En mars dernier, plusieurs groupes communautaires montréalais se rassemblaient afin de lutter contre l’exclusion informatique, « cette nouvelle forme d’inégalité sociale touchant près d’un quart des québécois. » Il est évident qu’un service de consultation numérique ne pourrait pas totalement remplacer le travail de terrain.
Idée n°5 – Afin de favoriser la plus large accessibilité possible, il faudrait pouvoir accepter le partage de séquences vidéo réalisées à l’aide d’une simple webcam, ce qui encouragerait les personnes ayant des difficultés d’écriture ou d’utilisation bureautique à faire entendre leurs voix. Des individus ou des groupes communautaires pourraient également utiliser cette fonctionnalité afin de recueillir et partager des commentaires et témoignages de citoyens, un peu comme on recueille aujourd’hui les signatures d’une pétition.
NB – Cette idée soulève inévitablement la question de l’accessibilité des contenus vidéo et de leur indexation. Ce n’est donc pas la plus simple à mettre en œuvre, ni la moins coûteuse.
Encourager l’interaction par l’autorégulation
Lors des débats les plus populaires, on pourrait vite se retrouver avec des dizaines, voire, dans certains cas, des centaines de commentaires et clips vidéo à lire ou visionner. D’où cette dernière idée:
Idée n°6 – Afin d’encourager l’interaction, facteur d’engagement, et de mettre en valeur les contributions les plus populaires, on pourrait réfléchir à un système d’appréciation de style Facebook ou, plus complexe, un système d’autorégulation comme celui mis au point par Slashdot, un site américain de partage de nouvelles technologiques.
Pas de consultation sans rétroaction
Tout ceci est bien beau, mais reste l’essentiel : à quoi cette dépense d’argent public et d’énergie citoyenne servirait-elle? Comment serait-elle prise en compte par le personnel professionnel, administratif et politique de la Ville? Quelles seraient ses effets concrets en terme de gouvernance et de meilleure gestion des dossiers?
C’est pourquoi, en guise de conclusion, nous avons imaginé que chaque discussion autour d’un projet de règlement devrait faire l’objet, au final, de deux rétroactions systématiques :
- Avant le passage au vote, l’administration municipale concernée devrait procéder à l’analyse des contributions recueillies et en faire la synthèse, ce qui permettrait de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde et permettrait d’en tirer des conclusions plus consensuelles.
- Une fois le projet amendé au besoin et adopté, il serait bon que le Conseil assume pleinement sa décision finale (surtout dans les cas où elle prêterait à controverse) en l’expliquant clairement, succinctement et sans détour.
Ce travail de synthèse et de pédagogie politique constituerait une véritable rétroaction dans la mesure où il matérialiserait l’efficacité du processus et amplifierait, par le fait même, la motivation des citoyens à y participer.