Il semble qu’on ait les nerfs à fleur de peau, ces temps-ci, dans le milieu hospitalo-gestionnaire. Dans son édition du 15 décembre, Le Devoir publiait ainsi le maladroit réquisitoire de l’ex-directrice générale de la résidence St-Charles-Borromée dont le successeur, Léon Lafleur, s’est fait harakiri il y a quelques semaines: « J’accuse, déclame-t-elle, oui j’accuse des médias d’être directement responsables du décès du directeur général de la résidence Saint-Charles-Borromée. » On se calme, Madame. Votre Lafleur n’est pas Dreyfus et n’est pas Émile Zola qui veut. Quant aux médias, ils ne sont après tout que le reflet de nous-mêmes.
Certes, la sortie de scène administrative de Léon Lafleur, le 25 novembre dernier, a pris un peu tout le monde par surprise, tant les journalistes que ses collègues, ses pensionnaires et, fort cruellement, sa propre famille. Rares, en effet, sont les êtres responsables se suicidant au premier signe d’adversité. En général, ils tentent de résister au vent mauvais autant qu’il peuvent. Ils se défendent et argumentent s’ils s’imaginent dans leur bon droit. Dans le cas contraire, ils observent le silence ou, geste plus intéressant encore, il font amende honorable en présentant quelques excuses.
Ce n’est pourtant pas la voie que Léon Lafleur a choisie. Il n’a reconnu son erreur que pour mieux se poser en victime d’une punition hors de toutes proportions qu’il s’infligeait lui-même. Il faut souligner à quel point son attitude fut triste, destructrice et déséquilibrée. Elle ne l’honore pas le moins du monde et n’en fait ni une victime, ni un héros. Reprenons les faits et, surtout, les éléments d’analyse livrés par M. Lafleur lui-même dans sa fameuse lettre posthume.
Début novembre, un enregistrement accablant se retrouve donc en la possession de médias montréalais. Il démontre, analyse-t-on, les traitements pour le moins discutables dont bénéficiait une patiente de la résidence St-Charles jusqu’à ce que sa famille l’en évacue, en août dernier. Interrogé à la radio, le directeur général de la résidence, Léon Lafleur, prend un soin scrupuleux à couvrir d’une chape de « compréhension » tendancieuse les agissements incriminés, affirmant que ses employés fautifs « s’amusaient avec la patiente », qu’ils « ne lui voulaient pas de mal », qu’ils avaient « établi avec elle une relation complice » et que, somme toute, il n’y a pas lieu d’en faire un plat. Quelques heures plus tard, le ministre de la Santé, Philippe Couillard, est bien obligé, lui, de répondre aux médias effervescents qu’il ne l’entend pas de cette oreille, que les faits présentés sont suffisamment « troublants » et graves pour qu’une enquête interne soit déclenchée.
Voilà, semble-t-il, ce qui suffit à provoquer le malheureux compte à rebours vital de M. Lafleur. Dans une lettre écrite au bord d’un gouffre qu’il creuse lui-même, le gestionnaire en péril déplore que le ministre ne lui ait pas « accordé sa confiance » en lui téléphonant ou en visitant son établissement. Dans le même souffle, il pose très lucidement la bonne question: « Que m’est-il arrivé pour que j’en vienne à presque banaliser cet évènement ? »; mais il tire sa révérence en fournissant pour seule réponse : « J’ai fait une grosse erreur, je l’aurai, et les miens, payée très cher. J’espère qu’au moins on aura su en tirer des leçons pour l’avenir. » Well, c’est un peu mince.
Car quelle leçon peut-on tirer de ces évènements ? Que les médias ne devraient pas se repaitre d’une situation cruelle sans égard au sort humain qui en dépend? Allons donc! Les médias, on le sait bien, ne sont que le reflet de nous-mêmes. À ce que je sache, les publications civilisées comme Le Devoir ou Radio-Canada ont traité cette affaire avec honnêteté et précision factuelle. D’autres tribunes, plus vindicatives ou plus populaires, l’ont certes « surcommentée », mais c’est ce qu’ils font avec TOUS les débats et le nombre imposant de citoyens constituant leur auditoire démontre à l’évidence que ce genre de discours excessif plait. Alors, de grâce, ne tirons pas sur le pianiste. Regardons plutôt le public dans le blanc des yeux.
Et qu’aurait-il souhaité, le Léon, pour surseoir à son auto-autodafé? Que le ministre le « couvre », semble-t-il, le comprenne, excuse à son tour un comportement injuste et irresponsable. Que les médias détournent pudiquement les yeux d’un élément d’information lourd de sens et peinturent la grise réalité en rose bonbon. Tout le Québec il est bon, tout le Québec il est gentil. Hors ça, je suis bafoué, je me tire une balle dans la tête et vous l’avez dans le dos. Na!
Et qu’aurait-elle aimé, l’ex-directrice générale épinglée elle-même pour mauvaise gestion en 1997? Que les médias se plient à la bienséance dictée par le haut sans entendre les plaintes émanant de la base la plus vulnérable qui soit ? Voilà une prise de position que je trouve particulièrement abjecte. Pardonnez ma vision profanatoire et pas très gentille, Madame, mais je préfère infiniment l’analyse lucide et réaliste d’une certaine Francine Pelletier.
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