Le débat des chefs de pub

Téléspectateur avachi
Téléspectateur avachi
Source: ClipartKey

Le Canada est en campagne. Après les premiers débats télévisés opposant — ou, plutôt, juxtaposant — les chefs des principaux partis fédéraux, une question demeure: s’agit-il d’une campagne électorale, publicitaire ou médiatique? La nouvelle formule pose en effet plus de questions médiatiques qu’elle n’apporte de réponses politiques. Résultat: cet exercice hautement démocratique s’apparente moins à un débat d’idées qu’à une longue pause publicitaire. Inévitablement, c’est la qualité de l’information offerte aux citoyens qui en fait les frais.

À première vue, pourtant, le citoyen est à l’honneur. Dans un effort louable pour lui laisser toute la place, la journaliste animant le débat ne fait que relancer les questions posées directement par un échantillon hétéroclite de citoyens et encadre les réponses données par les politiciens. N’est-ce pas là l’expression même de la démocratie participative? Pas vraiment, et ce pour plusieurs raisons.

  1. Les questions sont filtrées. Environ 10,000 questions ont été adressées par les citoyens, mais les états-majors médiatiques n’en ont retenu qu’une vingtaine. Selon quels critères? On ne le saura jamais.
  2. La mise en scène « télé-réaliste » domine. En effet, on est allé filmer les citoyens chez eux, dans la rue, au travail, ce qui ajoute une foule d’informations subjectives à leurs questions. De cet homme un peu hautain, qui attaquait le Bloc Québécois, par exemple, j’ai pensé qu’il avait un mobilier aussi cossu que quétaine. Cela a inévitablement influé sur la façon dont j’ai reçu sa critique.
  3. Le zapping est réducteur. La règle d’équité absolue, qui force les politiciens à exprimer des idées parfois complexes en 29 secondes et trois quart, n’a en effet aucun sens. Contrairement à un message publicitaire, la valeur d’une pensée politique ne réside pas dans sa concision, mais dans sa justesse et dans la nature de la conviction qui la porte — autant d’éléments qui ont besoin d’autant de temps et d’espace que nécessaire pour s’exprimer.
  4. L’absence de dialogue entre les adversaires, enfin, ne permet pas d’aller au bout des contradictions ou, au contraire, des similitudes qui existent entre leurs options. Il faut les appréhender à partir d’une juxtaposition de « clips politiques », ni plus ni moins, certains barbouillant à gros traits le linge sale de l’adversaire, la plupart lavant plus blanc que blanc.

Qu’est-ce qui ressort de cette heure de réclame? Pas grand-chose d’intéressant, d’où la déception et le désintérêt manifestés par le public pour ce débat. Comme par hasard, les quatre chefs de pub se sont déclarés satisfaits de leur prestation — et pour cause, puisque la formule leur évitait tout dérapage et incident majeur. Seul le Bloc Québécois a fini par la désavouer, admettant qu’elle « ennuyait » les citoyens.

Une fois de plus, la preuve est faite que « le médium est le message » et que le fast debate est à la démocratie ce que le fast food est au métabolisme. Cela fait quelques décennies que le médiatique dénature ainsi le politique, n’ayant pas pour mission d’éclairer la conscience citoyenne sur les enjeux véritables, mais plutôt d’alimenter en clichés cathodiques une « opinion publique » affective et mollement consentante. Il n’est donc pas étonnant que la propagande à courte vue remplace les projets visionnaires, ni que la corruption subsiste, ni que les méthodes autoritaires l’emportent sur l’art de la négociation.

Le pire, c’est que les journalistes, les politiciens et même les braves citoyens-inquisiteurs qui se prêtent à ce jeu lamentable ne s’en rendent pas compte, obnubilés par leur image et par les hallucinations cognitives auto-satisfaisantes qu’elle génère. On appelle cela la « démocratie d’opinion ».

2 réflexions sur « Le débat des chefs de pub »

  1. Non, non, j’ai bien dit « abime », comme ceci (trou sans fond), mais aussi comme cela (procédé de réflexion intellectuelle qui entraîne une sensation de vertige), puisque ce genre de débat donne plus à voir la médiatisation du politique que la politique elle-même, comme en témoignent les commentaires du lendemain. Remarque qu’il y a aussi un petit côté amibe à la façon dont le clergé médiatico-politique s’attend à ce que nous recevions ces mises en scènes 🙂 Les électeurs ne sont pas unicellulaires, ni même unineuronaux, mais ils n’ont qu’un seul bulletin de vote à offrir 🙂

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