La fragilité, andidote de la performance

Une flaque d'eau, du sable et un galet dessinent un oeil minéral

J’ai découvert ce matin, sur le blogue de Maridan’, un bouquin publié en 2004 que je vais impérativement me procurer d’ici ce soir : La fragilité de Miguel Benasayag. Il faut lire ces extraits que ma lectrice préférée nous en livre et qui nourrissent magistralement les feux de mon cerveau. En résumé, voici un extrait de la jaquette d’Amazon.ca : « Au fil d’un parcours philosophique aussi exigeant que passionnant, (…) M. Benasayag explore les voies d’un renouveau de l’action politique. Il propose ici une théorie de l’émancipation qui dépasse l’opposition forts-faibles à la base du fonctionnement de nos sociétés, une théorie de la situation fondée sur la notion de « fragilité » comme dimension fondamentale de ce qui fait l’essence même de la vie. Sa grille de lecture nous permet de mieux saisir cette « mutation du citoyen » et cette quête de résistance à la virtualisation de la vie. »

Parmi les passages cités par Maridan’, j’aime particulièrement celui sur la technique dont les secrets de fabrication nous échappent et que nous utilisons à l’aveuglette, comme l’on récitait autrefois une prière. Le mystère de la technique remplace celui de l’Immaculée Conception et le clergé post-moderne troque la soutane contre un diplôme d’ingénieur et un M.B.A. Sommes-nous plus avancés ?

Inspirant, aussi, l’extrait résumant le thème général du livre, qui arrime le lien social à la fragilité intrinsèque de l’être humain. Ce constat traverse tous les bouquins éclairants que j’ai lu, ces derniers temps, de La force de conviction à Écologie et liberté. Il explique peut-être aussi pourquoi, dans notre univers de dispersion et de technicité, le réseau Internet connait le succès foudroyant que l’on connait. Sauf qu’il ne faut pas être dupe : être lié, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’être hyperlié.

La liberté de presse s’applique-t-elle à tous ?

Affiche de soutien à Josh Wolf

N’importe qui, aujourd’hui, dans les pays développés, peut s’acheter une caméra, se mettre à filmer et diffuser ce dont il est témoin sur Internet. Un peu journaliste, beaucoup blogueur et notoirement engagé, c’est ce qu’a fait Josh Wolf (voir billet précédent) en diffusant cette vidéo d’une manifestation violente sur son blogue intitulé La révolution sera télévisée. Le jeune californien travaille pour une petite télévision communautaire sans grand pouvoir et il ne cache nullement ses opinions anarchistes. La justice, à qui il a refusé de donner son reportage intégral, l’a renvoyé la semaine dernière en prison et il devra y rester jusqu’à ce que sa cause passe en appel, l’été prochain.

Le San Francisco Chronicle signale, dans cet article, que deux de ses journalistes sont également poursuivis par la cour fédérale américaine sous un chef d’accusation similaire : refus de livrer leurs sources à la police dans une affaire de dopage. Cependant, ils resteront libres jusqu’à ce que leur cause soit entendue en cour d’appel. Or, bien que leur cause soit différente de celle de Wolsh, les principes qui la sous-tendent sont les mêmes, explique la section nord-californienne de la Society for Professional Journalists (SPJ) qui vient de nommer les trois hommes « Journalistes de l’année » à la lumière de leur combat pour la liberté de la presse libre et indépendante.

En août dernier, un éditorialiste du SF Chronicle affirmait d’ailleurs que « le Premier Amendement [constitutionnel qui garantit la liberté de presse, NDCA] n’a pas été conçu pour ne protéger que les grands médias. » On comprend donc que les petits médias indépendants devraient aussi être couverts par l’Amendement.

Si l’on poursuit ce raisonnement, les blogueurs et les podcasteurs devraient aussi avoir la liberté de protéger leurs sources. Le principe s’appliquerait donc à tout citoyen en situation de journalisme et non pas seulement aux citoyens exerçant un emploi rémunéré de journaliste.

En ces temps d’informatisation croissante des pouvoirs politiques et judiciaires, il n’est pas anodin de flirter avec l’idée d’un renforcement des contre-pouvoirs médiatiques et démocratiques, voire de les lier. C’est peut-être nécessaire pour arriver à garantir les libertés civiles dans les démocraties à haute technologie du XXIème siècle.

Dans cette vidéo diffusée la semaine dernière, Josh demande aux internautes de discuter de son histoire, d’explorer les questions qu’elle soulève et d’en parler autour de nous, sur nos blogues, dans nos journaux. Cela nous aidera à garder l’esprit alerte et cela lui permettra peut-être aussi de pouvoir aller recevoir son prix en personne, le 9 novembre prochain, dans un restaurant de San Francisco.

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Si le journalisme citoyen vous intéresse, n’hésitez pas à envoyer un à Josh Wolsh, dans sa prison :

Joshua Wolf 98005-111
Federal Correctional Institution – Dublin
5701 8th St. Camp-Parks, Unit J2
Dublin, CA 94568

Les lettres sont contrôlés par des gardiens et doivent obligatoirement comporter une adresse de retour.

L’affaire Gloaguen : du caviar dans le free speech

Blogue caviar

« L’affaire Natacha », titre Laurent Gloaguen, dit Le Capitaine, barreur des embruns point nets. En ce 28 septembre, le billet est vide : en attente de republication, parait-il. On a rarement vu ça : un billet vide suscitant 23 commentaires! [MAJ: Laurent a finalement réécrit ce billet le 29 septembre, bien qu’il reste daté du 26. Pour le coup, je lui envoie le 30 un trackbak du 28 ;-]

Il y a trois semaines, je n’avais guère entendu parler de « LG », que vaguement de Natacha « QS » (par Philippe et Michel, évidemment) et encore jamais visité Mémoire Vive, le vidéoblogue que cette dernière développe avec son frangin bidouilleur, Sacha. Aujourd’hui, huit jours après l’inénarrable polémique allumée par ce vidéopodcast, je me fais « caviarder » — sic : il y a aussi une blogosphère caviard ! — pour cause de « contrevérités » — et re-sac : j’ai le mal de mer. Certains de mes propos n’ayant pas eu l’heur de franchir le bastinguage, je me vois obligé de les réinventer plus bas, ma mémoire ne s’étant évidemment pas préparée à cela.

Ce qui est tordant, c’est qu’un peu plus bas, l’embrumeur s’adonne au copier/coller à propos de l’« affaire Jan Wong », bien canadienne, celle-là. Il pointe notamment vers le billet de Michel Dumais, reproduisant texto sa ligne de chute imparable : « Living with this free speech means sometimes, you get offended. Period! » Faut croire que le free speech, valable d’un océan à l’autre, ne l’est plus en haute mer. Sur le vaisseau du Capitaine Gloaguen, on caviarde ce qui déplait, sans se gêner pour dire ce que l’on pense par ailleurs. On est chez soi. Le capitaine de vaisseau ne supporterait-il que les vassaux?

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Le 28 septembre 2006, Christian Aubry a dit :
« Shirley et Dino »… Je ne sais pas à quoi vous carburez ni quelles sont vos frustrations, mais je constate une fois de plus que vous avez le fiel dans le sang, l’allusion assassine et la noirceur vissée au coeur. Reproduire ici le billet abscond de Denys ne fait vraiment pas avancer le débat.

  • « les blogs dépendent bien plus du capital culturel que du capital social, si tant est que l’on puisse les distinguer. » Si ce n’est pas le cas, alors, pourquoi le faire? Parce qu’on se sent plus fort en tentant d’imiter Proust qu’en créant avec fraîcheur et dynamisme une réelle communauté?
  • « Pour y trouver sa place, plus qu’une pathétique crise d’autoritarisme… » De quelle crise parle-t-on ? La vôtre, Laurent, qui vous êtes fâché tout bleu [bip] heu (je ne me rappelle plus)… en attaquant Natacha parce qu’elle vous avait obligé à répondre à ses questions sous la menace d’un micro Sony de calibre 57[/bip] ? Quand et où ladite dame aurait-elle fait preuve d’autoritarisme ?

Et puis vous trouvez ça normal, vous, le « capitaine », que des « influenceurs » passent la soirée à se prélasser sur les canapés d’un parti politique sans qu’il soit possible d’en rendre compte publiquement ? Que diriez-vous s’il s’agissait de dignitaires étrangers ou de barons de la grande industrie ? La démocratie ne mérite-t-elle pas une messe médiatique, parfois, même si cela vous semble un peu soporifique ?

Peut-être que ce que vous n’avez pas aimé, au fond, c’est le style de Natacha, sa façon de poser ses questions. En ce cas, calmez-vous et respirez pas le nez. Il ne s’agit que de la forme, concentrez-vous sur le fond. Et puis, SVP, arrêtez de jouer [bip]les vierges offensées[/bip], surtout que vos attaques [bip]heu… répétées (sans parler de la censure érigée en système)[/bip] prouvent exactement le contraire !

  • « Il faudra un apprentissage des pratiques usuelles et de la géographie des positions existantes que, à l’évidence, Mémoire Vive n’est pas prête d’amorcer ce pourquoi, fort probablement, son petit réseau ne deviendra jamais grand. » Mais de quoi parlez-vous ??? De politique, de coterie parisienne ou de Kamasutra? Qui êtes-vous pour asséner cette leçon pointifiante et que savez-vous de l’avenir de tel ou tel réseau qui ne sorte de votre appréciation subjective ?

À mon sens, professeur, et quels que soient leurs défauts (qui n’en a pas, dites-moi?), les petits films de Sacha et Natacha ont mille fois plus de chances de séduire les jeunes générations, de par leur modernité de forme et de fond, que vos noirâtres écrits nombrilistes imitant une langue soi-disant savante, en réalité vide et révolue [là, bien sûr, je faisais allusion à la prose emberlificotée de Denys Bergrave, ce qui explique peut-être pourquoi Laurent a privé ces propos peu amènes de leur ration de caviar].

Allez-y, crachez votre venin et traitez-moi de groupie insignifiante du « clan » Mémoire Vive. Prenez note, toutefois, que je ne connaissais ni leur blogue ni même leur existence il y a trois semaines, étant physiquement à mille lieux (5500 km, pour être plus précis) de la survie parisienne. En les filmant, je n’ai découvert aucun « second degré » au sens où vous l’insinuez [dans le commentaire précédent]. Seulement de la fraîcheur, de la simplicité, de la jeunesse, certes, mais aussi une dynamique et une vision du Web et de la société qui mérite vraiment d’être explorée pour ce qu’elle est. Pour le reste, c’est le public et ses réseaux qui décideront de leur avenir. Et du vôtre, aussi.

*

Fin de l’auto-[ré]citation. Les portions entre crochets sont des ajouts et [bip]celles-ci[/bip] sont des ré-créations.

Les "after hours" de YULBIZ

YULBIZ, vous connaissez ? Il s’agit d’une rencontre mensuelle fort sympathique entre montréalais(es) intéressé(e)s par les blogues d’affaires. Cela se passe au Café Méliès et j’ai déjà rendu compte en images de l’ambiance qui y règne. La soirée s’achève en général, par petits groupes, dans les restos du quartier. C’est cet after-hour que j’ai croqué, ce mois-ci, à l’aide de mon téléphone portable. La qualité de l’image s’en ressent, vu le manque de lumière et la taille nanoscopique de l’objectif, mais j’espère que cela donnera tout de même le goût à ceux qui hésitent encore de se joindre à nous, le mois prochain — histoire de refaire le Web autour d’une bonne bouteille !

Que seront l’Europe et l’Amérique dans 20 ans devenus?

Oiseaux migrateurs

Je rentre d’un voyage familial d’une semaine à Paris. On y parle beaucoup d’immigration clandestine et notamment de ces Africains qui, sur des embarcations de fortune, se jettent à l’assaut des paradis économiques européens. Face à ce rêve immense, peu leur importe de périr en mer ou de croupir dans des camps de concentration avant d’être renvoyés chez eux.

Dans l’avion hautement technologique qui me ramenait en toute sécurité à Montréal, j’ai longuement contemplé la carte du monde publiée dans le numéro 399 du magazine La Recherche. Cette carte illustre les impacts du changement climatique à l’horizon 2050 et met en évidence «les gagnants et les perdants». Comme de raison, ce sont les humains du Sud — Africains en tête — qui seront les perdants et qui en subiront les pires impacts.

Cette carte n’est pas publiée en ligne, mais celle du monde réchauffé (©La documentation Française) présente à peu près les mêmes éléments :

Carte d'un monde «réchauffé»

 

On constate que d’intenses mouvements migratoires sont à prévoir en Asie en raison de la montée des eaux. Incapable de sortir de la misère noire dans laquelle la colonisation, puis la guerre et la corruption l’ont plongée, l’Afrique sera aux prises avec encore plus de famines qu’aujourd’hui à cause de la sécheresse, la désertification, l’érosion et l’épuisement des sols. L’Amérique latine, quant à elle, sera soumise à des pluies diluviennes et des inondations qui rayeront probablement de la carte nombre de villes et de villages. Des millions d’âmes s’éteindront au passage et plus encore seront en deuil et dans de cruels états de dénuement.

Aux États-Unis, pendant ce temps, le niveau des Grands Lacs baissera, l’agriculture des Prairies et de la vallée du St-Laurent en sera affectée. Il y aura du stress environnemental et des espèces acculées à l’extinction, de grandes sécheresses et des ouragans dans le sud mais, finalement, pas trop de dégâts.

Au nord-est du Canada, on se gèlera moins les petons en hiver et l’on sera en mesure d’exploiter les ressources naturelles situées plus au nord des régions d’exploitation minière actuelles (d’où la frénésie canadienne et les récentes convoitises internationales que ce secteur a suscitées). Si la navigation devient incertaine au Sud, de nouvelles voies de commerce maritime seront tracées dans un Océan Arctique délivré de sa banquise.

En Europe, les pays du Nord essuieront des précipitations plus intenses, la sécheresse augmentera au sud, mais les rendements agricoles augmenteront peut-être un peu sous l’effet d’une concentration accrue de CO2. Inondations, récoltes perdues et incendies de forêt se multiplieront, tandis que la fonte des neiges fera fondre les profits de l’industrie du ski dans les Alpes.

Ceci dit, qui aura encore le cœur à skier ? Probablement pas les millions d’Africains qui tenteront d’échapper à d’indicibles souffrances en envahissant, coûte que coûte, la forteresse européenne. Il n’est pas difficile d’imaginer le flot de désespérés migrant du Sud vers le Nord afin de sauver leurs peaux. Qui les blâmera ? Des européens inquiets pour leur propre avenir, sans doute, et des politiciens autoritaires tentant de leur faire croire que l’Apartheid représente, comme aux États-Unis ou en Israël, la bonne solution. Pas moi.

On n’arrête pas la mer qui monte !

Ces barrages administratifs et policiers retarderont un peu l’inéluctable, mais je ne donne vraiment pas cher de leur efficacité à long terme. L’histoire récente prouve, en effet, qu’aucune digue, aucun mur ne peut résister indéfiniment aux éléments déchaînés — l’être humain luttant pour sa survie n’en étant qu’un parmi les autres.

Qui plus est, les tensions raciales sont déjà fortes en Europe et l’on voit mal comment la radicalisation des politiques anti-migratoires pourraient les apaiser. Si l’extrême droite se permet de crier au loup, c’est parce que si le loup y était, il serait déjà dans la bergerie. En réalité, il s’agit d’êtres humains à la recherche bien légitime d’un avenir meilleur. L’incapacité des anciennes puissances coloniales à régulariser et intégrer efficacement ces migrants maintient ceux-ci, depuis des décennies, dans une situation d’altérité et de précarité qui tourne maintenant à l’affrontement sporadique, mais récurrent. Les damnés de la terre se transforment en damnés de la République. Hier encore, corvéables à merci, ils constituent aujourd’hui une formidable bombe à retardement démographique, sociale et culturelle.

Dans ce contexte, on peut se demander quelles seront les conditions concrètes de la « résistance européenne » à la pression migratoire des populations africaines, celle-ci étant décuplée par les changements climatiques. On peut aussi anticiper un phénomène de vases communicants — le trop plein d’affamés africains se déversant en Europe tandis que la fraction la mieux nantie de la population européenne trouverait refuge en Amérique du Nord afin d’échapper à l’« africanisation ».

Si le temps nous était compté…

Dans l’avion du retour, entre deux repas insipides, j’ai longuement discuté de ces graves questions avec mon voisin de gauche, un sympathique artiste d’origine maghrébine installé à Québec, depuis quelques années. Pétrie d’humanisme, de culture et de respect, sa vision coïncidait parfaitement avec la mienne, ce qui confirme une fois de plus qu’il n’y a pas de déterminant racial aux solutions politiques, économiques et sociales que l’espèce humaine doit imaginer et mettre en place pour assurer sa survie.

Sur le siège de droite, ma fille de 13 ans regardait Nos voisins les hommes, un divertissement américain traitant subtilement de la malbouffe et de la prolifération des banlieues. Tant mieux, me disais-je. Elle a encore le temps de s’éveiller à ses responsabilités d’homo sapiens de façon plus sérieuse. Ce temps nous est toutefois compté.

Ces systèmes complexes qui broient nos libertés

Deux nouvelles très différentes, cette semaine, confirment que les corporations placent leurs intérêts, même les plus discutables, avant ceux des individus et que les systèmes judiciaire et politique sont, à cet égard, leurs meilleurs outils de répression.

Affiche du film The Corporation
Affiche du film The Corporation

Deux nouvelles très différentes, cette semaine, confirment que certaines corporations placent leurs intérêts, même les plus discutables, au-dessus de ceux des individus et que les systèmes judiciaire et politique, censés préserver l’homme des agressions iniques, constituent leurs meilleurs outils de répression. L’une concerne la défense de l’environnement et l’autre, la liberté d’expression et de circulation des données sur Internet. Allez comprendre comment il est possible, en 2006, que des organisations créées par et pour l’homme puissent en arriver à se retourner contre lui !

Il y a d’abord cette inacceptable poursuite stratégique contre la mobilisation publique (équivalent de l’anglais SLAPP) de 5 millions $ que la compagnie américaine American Iron & Metal Company (AIM) a intentée, en novembre dernier, contre onze membres de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA). Sous la pression financière de cette poursuite abusive, l’association est maintenant acculée à la dissolution, non pas qu’elle ait tort ou ait agi illégalement, mais parce qu’elle a… aidé la justice à faire son travail. Malheureusement, celle-ci est si lourde, si complexe et si coûteuse qu’elle ne peut la protéger contre le déluge de frais juridiques qui s’abat sur elle.

La seconde nouvelle inquiétante est diffusée par l’excellent Center for Democracy & Technology (CDT). Dans une longue analyse fort bien documentée, le CDT décortique le dossier du traité de l’OMPI sur la protection des organismes de radiodiffusion. En superposant au droit d’auteur, déjà internationalement reconnu, un nouveau « droit de diffuseur », l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) risque de tuer le bébé — la liberté d’expression et d’information citoyenne — avec l’eau du bain — les intérêts financiers étriqués des entreprises de radiodiffusion, de câblodistribution et (tenez-vous bien) les fournisseurs de service Internet qui, comme Yahoo, Google et YouTube, par exemple, diffusent des contenus qu’ils n’ont pas produits et sur lesquels ils ne détiennent aucun droit d’auteur. Ce traité pourrait leur permettre de contrôler la diffusion de nos oeuvres pendant 50 ans. C’est fort !

Ces deux affaires me laissent perplexe. La seconde, en particulier, démontre que les technologies les plus porteuses de liberté, celles-là mêmes qui naissent d’une aspiration légitime à libérer le potentiel créatif de l’homme, entraînent invariablement une réaction négative de la part des structures de pouvoir. Celles-ci ont vite fait d’imposer de nouvelles mesures de contrôle social destinées à en réduire la portée. Au final, ce n’est pas les individus (vous et moi, actionnaires, clients ou employés) qui en sortent gagnants. Ce sont les structures elles-mêmes, ces structures insensibles aux dommages collatéraux pernicieux qu’elles entraînent, ainsi que le nouveau clergé en chemise blanche qui les nourrit servilement avec l’illusion de détenir la Vérité Suprême.

» Voir aussi : WIPO Broadcasting Treaty (Electronic Frontier Foundation)

L’histoire du Parc Jean-Jacques Olier

Parc Jean-Jacques OlierLa météo était incertaine, à Montréal, samedi après-midi, mais les enfants rassemblés autour du bac à sable et leurs familles n’en avaient cure. Bien leur en prit, car la pluie épargna le petit coin de Plateau où se déroulait la fête… d’un parc ! Eh oui ! Un groupe de résidents et quelques commerçants du quartier organisaient une petite fête en l’honneur du Parc Jean-Jacques Olier, créé, en 1974, sur les ruines d’une rangée de maisons incendiées. L’ancien vicaire Gaston Michaud avait déjà raconté la petite histoire de ce parc à des étudiants de l’UQAM, l’hiver dernier. Cette fois-ci, elle fut interprétée par les enfants qui y jouent régulièrement — dont ma fille, Juliette. Évidemment, ma caméra et moi-même ne pouvions résister à cette tranche sucrée d’histoire populaire 🙂

Elle court, elle court, la communication!

Téléphone mobile et marteauLa frontière entre communication d’entreprise, journalisme et expression personnelle sur Internet est de plus en plus floue. Les journalistes prétendent souvent que les blogueurs ne sont pas soumis aux techniques de vérification et à la déontologie qui sont les leurs et qu’ils véhiculent des tonnes d’informations non vérifiables et autres rumeurs infondées. C’est en partie vrai, mais tout dépend en fait du sérieux de qui tient la plume. Certaines entreprises et certains blogueurs « indépendants » font plus et mieux, dans ce domaine, que des journalistes professionnels aux prises avec des délais de publication serrés et une conscience professionnelle élastique. Voici une histoire qui témoigne d’un certain flou journalistique : il était une fois une dizaine de téléphones mobiles usagés…

L’une de mes amies m’envoyait, ce matin, un lien pointant vers le dernier billet d’André Simard, un journaliste de La Presse qui blogue professionnellement sur Technaute : « Votre cellulaire conserve tous vos secrets » On y découvre l’histoire sulfureuse d’un mari infidèle qui a vendu son cellulaire, sur eBay, à une firme nommée Digital Trust. Celle-ci y a ressucité la preuve de ses frasques amoureuses. En guise de conclusion, le «blogo-journaliste» évoque la masse de données corporatives abandonnées à la mémoire flash peu sécuritaire des téléphone usagés. Voici la solution fort peu écologique qu’il préconise : écrasez donc votre vieux cellulaire d’un bon coup de marteau !

André Simard a cependant la bonne idée de reconnaître qu’il a pêché cette histoire sur le site du Globe and Mail. Tous les journalistes n’ont hélas! pas cette honnêteté élémentaire. Lui, il donne l’adresse du papier original qui, semble-t-il, constitue sa seule source. On y découvre une foule d’informations moins scabreuses que cette histoire d’adultère, dont des développements techniques intéressants et des citations de plusieurs personnes interrogées par le journaliste Ted Bridis. Manifestement, celui-ci a fait une bonne job en vérifiant l’information, en la complétant et en la considérant sous plusieurs angles, ce que n’a pas fait Simard en la réduisant au contraire à sa plus simple expression — le sexe, babe.

Mais d’où vient cette histoire, au fait ? Bridis et Simard citent la firme Trust Digital, sans préciser s’il s’agit d’une entreprise quelconque, d’un centre de recherche ou d’une firme spécialisée ayant un rapport avec le sujet. Vérification faite, c’est le cas, bien sûr : « Trust Digital est le chef de file des fournisseurs de logiciels de sécurité mobile. Elle sécurise les données d’entreprise qui résident à la périphérie du réseau, là ou téléphones évolués, ordinateurs de poche et assistants numériques ont accès à l’information corporative. » Cette description figure noir sur blanc au bas du communiqué de presse du 30 août qui constitue, de toute évidence, le point de départ de l’enquête du Globe and Mail.

En résumé :

  • Une firme aux intérêts privés s’est livrée à une expérience intéressante afin de s’en servir pour démontrer la valeur de son offre commerciale. Elle a publié un communiqué de presse factuel à ce sujet, positionnant correctement ses arguments de vente sans cacher son intérêt dans l’histoire. Jusque là, rien à dire.
  • Un journaliste disposant du temps et du savoir nécessaire s’en est saisi et a enrichi le sujet en analysant l’information brute et en la vérifiant auprès d’autres sources. Ceci dit, il a oublié de préciser que Trust Digital vendait des logiciels de sécurité, ce qui aurait ajouté une importante précision à son article. Dans l’ensemble, cependant, il s’agit d’un bon travail journalistique.
  • Probablement pressé par le temps, faute d’être correctement rémunéré par son employeur, un autre journaliste réduisit la nouvelle à son aspect le plus accrocheur, se permettant même d’inviter ses lecteurs à commettre un petit désastre écologique, puisque chacun sait que les téléphones cellulaires contiennent des matières hautement toxiques pour l’environnement. Ce n’est pas la fin du monde, certes, mais c’est là que le lien de sérieux s’est brisé en nous projetant dans la rumeur, aux confins du divertissement facile et de la légende urbaine. Heureusement, en ajoutant un simple lien à son billet, il permet aux lecteurs exigeants de trier le grain de l’ivraie. Mais combien se seront donné cette peine ?

Bref, ce n’est pas l’environnement du blogue qui crée la rumeur et l’imprécision, ni le fait d’avoir affaire à de vrais ou de faux journalistes. C’est un choix qui relève de chaque communicateur, quelque soit son statut — mercenaire d’entreprise, journaliste professionnel ou simple citoyen. La responsabilité de mieux informer, de façon plus juste, plus exigeante et plus honnête appartient à chacun d’entre nous.

La Terre est une dure à cuire

La Terre auscultée avec un stétoscopeD’après des scientifiques britanniques qui ont analysé les bulles d’air emprisonnées dans les glaces de l’Antarctique, la teneur en méthane et en dioxyde de carbone de l’atmosphère dépasse aujourd’hui tout ce que la Terre a connu depuis 800 000 ans. Le CO2, qui s’est toujours maintenu entre 180 et 300 particules par millions, atteint maintenant 380 ppm. Quant au méthane, sa pointe protohistorique de 750 particules par milliards n’est rien comparée aux 1 780 particules par milliards actuelles. Le pire, c’est qu’au cours des 17 dernières années, le taux d’accroissement de la teneur en CO2 équivaut à ce que la nature avait déjà réalisé… en mille ans !

C’est le quotidien The Independent de Londres qui tire une fois de plus la sonnette d’alarme avec cette nouvelle, ce matin. Le plus angoissant, c’est que les scientifiques n’ont aucun repère qui leur permette de prédire avec précision ce qui va arriver. Les lecteurs du Huffington Post, le site où j’ai glâné l’information, en tirent la seule conclusion qui s’impose : la Terre finira bien par s’en remettre, mais les humains ne seront probablement plus là pour s’en réjouir.

Notre chère planète est une dure à cuire. Pas nous.

Journaliste et blogueur en liberté

Le journaliste indépendant et « vidéoblogueur » californien Josh Wolf, qui a filmé une manifestation ayant mal tourné, a passé un mois en prison car il refusait de céder ses bandes à la police. Celle-ci souhaiterait les utiliser comme preuve contre les casseurs. Heureusement pour lui, un juge vient de le remettre en liberté jusqu’à ce qu’un autre jury statue sur sa demande d’appel, selon ce billet de boingboing. La Society of Professional Journalists a contribué à hauteur de 30 000 US$ à ses frais d’avocats dont elle a négocié le plafonnement au double de cette somme, selon ce communiqué. Le 2 août dernier, la National Lawyers Guild prenait fait et cause pour lui et la résistance médiatique s’organisait sur Internet, à grand renfort de blogues et de wikis.

Question moralisante : les journalistes indépendants n’ont-il pas intérêt à utiliser les ressources d’Internet et des technologies numériques, qui peuvent les libérer en partie de l’emprise économique des groupes de presse ? À mon avis, oui, car ils y trouveront un public, des alliés et la possibilité de mieux atteindre les objectifs fondamentaux qui (on l’espère) les a amenés à choisir ce métier. Cela ne les empêchera pas de respecter leur code déontologique à la lettre, rehaussant d’autant la qualité de l’information disponible en ligne.

Le temple des marchands

Jamais je n’aurais cru passer plus d’une heure, ce soir, sur le site Web d’une marque de jean’s. C’est pourtant ce qui m’arriva. Diesel Heaven : un « voyage » remarquable dont je reviens indemne, mais avec plus de questions en tête que de réponses…

Les mille et une tentations de Diesel Heaven

La première évidence qui m’est venue à l’esprit, c’est que j’étais en présence d’une nouvelle forme d’art numérique interactif très achevé. Cette gigantesque animation vidéo hyper scénarisée est franchement… euh… magnifique. Ainsi, les marchands du temple de la mode sont prêts à enfouir leur discours mercantile derrière une riche fresque de lumière, de couleur, de mouvement, de musique et d’émotion.

Les artistes qui ont réalisé ce travail colossal ― car il s’agit véritablement d’artistes, à ce que j’ai pu voir et entendre ― sont au service d’une marque, comme Léonard de Vinci et Michel-Ange furent autrefois au service des princes. L’argent confère le pouvoir, le pouvoir nourrit l’artiste, l’artiste génère la grâce et celle-ci subjugue le peuple comme les puissants.

La seconde évidence, c’est que la communication de la marque ― car il ne s’agit pas de publicité, ici, mais bien de communication ― est entrée de plein fouet dans l’ère de la nouvelle cyberculture, atteignant un degré d’esthétisme supérieur à celui de bien des sites culturels. Derrière Diesel Heaven, sa richesse graphique, ses petits cadeaux numériques et son interactivité, il y a d’ailleurs d’autres sites remarquables, comme Camouflage Tales, un conte interactif à la gloire de l’amour et de la sensualité textile, ou Diesel Denim Dimension, un magistral défilé de mode virtuel, auquel on est invité à ajouter sa photo.

Je n’ai rien appris d’intéressant, ce soir, mais j’ai vécu un bon moment de divertissement en ligne, gracieuseté d’un fabricant de vêtements. Dois-je applaudir et en redemander ou bien me lamenter devant un tel gaspillage de talent?

Émotion pour un bout de chiffon
Saisie d’écran de Camouflage Tales

Tintin Kim au Congo

Kim à Montréal, juillet 2006

Mon copain Kim Gjerstad joue avec le feu. Je ne sais pas si c’est le portrait de blogueur que nous lui avons consacré le mois dernier qui lui est monté à la tête, mais voilà que, de retour à Kinshasa en pleine crise post-électorale, alors que l’armée régulière et les milices rebelles se tirent dessus à balles que veux-tu, il a eu l’idée aussi géniale que téméraire de braquer une webcam sur le Boulevard du 30 Juin, du haut de son balcon. Bravo pour le courage, Kimmy, mais bon Dieu, fais gaffe aux retombées !

Heureusement, au bout de quelques heures, c’est l’ordinateur portable qui a rendu l’âme en premier. J’imagine que Kim va tout de même continuer à se débrouiller pour témoigner prudemment de ce qui se passe à Kinshasa, ouvrant ainsi une petite fenêtre de journalisme citoyen sur un conflit trop longtemps oublié. Le moins que l’on puisse faire, pour lui prêter main forte, c’est de visiter et commenter son blogue en lui recommandant, au besoin, de ne pas trop jouer les Tintin au Congo. À vos claviers !