Elle s’appelle Michelle Bachelet. Calme, souriante, dans la force de l’âge, elle incarne un style de leadership politique bien différent de ceux qui sont offerts aux Canadiens, ces temps-ci. Pédiatre, agnostique, chilienne et, depuis dimanche, dixième femme actuellement à la tête d’un gouvernement, elle nous permet de croire que l’exercice du pouvoir est bien une mission de service public et non une ambition finissant, au bout de la ligne (de parti), par vous faire perdre la raison.
Michelle Bachelet a remporté la victoire à la veille de l’assermentation de sa collègue libérienne, Ellen Johnson Sirleaf, première femme à occuper la présidence d’un pays africain. Cette femme d’État élégante, dont la mission ne s’annonce pas des plus simples, est issue de l’élite américano-libérienne. Économiste diplomée de Harvard, elle a obtenu ses galons au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale et aux Nations-Unies, avant de servir plus directement son pays. Ce parcours d’apparatchik néo-libéral lui valut la présence, lors de son assermentation, de rien moins que la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, et l’épouse de l’oncle George, Laura Bush.
Madame Sirleaf n’a donc rien d’une révolutionnaire. Pourtant, sa présence à la tête de la plus ancienne république africaine, encore hantée par une guerre civile ayant fait 150 000 morts, est également le signe que tout redevient possible. On imagine mal, en effet, cette gentille mamie de 67 ans se transformer en seigneur de la guerre sous la pression tribale ou les tenailles de l’ambition. Ce qu’elle incarne, c’est le calme, la raison, la compassion et, à toutes fins utiles, l’espoir de la stabilité. Croisons les doigts.
En Europe, l’accession d’Angela Merkel à la Chancellerie allemande, en novembre dernier, revêt un caractère assez peu différent. Même si elle représente une formation conservatrice, Mme Merkel est issue de l’Allemagne de l’Est, grande laissée pour compte de la Réunification, et donc, dans une certaine mesure, un symbole de la rédemption des opprimés. Dernièrement, elle n’a pas hésité à marquer sa différence tant à Washington, où elle a officiellement désapprouvé les geoles américaines de Guantanamo, qu’à Moscou, où elle a réclamé plus de respect de la démocratie et des droits humains de la part du président Vladimir Poutine.
Mais le grand phénomène, ces jours-ci, reste sans conteste Michelle Bachelet. Son humanisme simple de médecin au service des plus faibles et sa volonté de servir pragmatiquement le peuple, jusqu’à se faire ministre de la Défense, malgré les souffrances d’un père torturé à mort dans les geôles de Pinochet, ne font strictement aucun doute. Elle a d’ailleurs promis de nommer autant de femmes que d’hommes à son cabinet. Si cette promesse se concrétise, cela suffira à faire inscrire son nom au Livre d’Or du genre humain. N’en déplaise à ce vieux thon de Maurice Druon, la docteure Bachelet y côtoiera le poète Aragon, auteur des premiers mots de cette épopée restant à inventer : « La femme est l’avenir de l’homme »…